LA DÉCISION
– Fameux, ces sandwichs au jambon ! remarqua Terry tout en versant un peu de lait de son thermos dans son gobelet. Walt avala une bouchée du sandwich qu’il tenait à la main et approuva : – Ils sont délicieux, en effet, mais malgré cela mon estomac ressent une sorte de malaise…
– À vrai dire, Walt, ce n’est pas tous les jours que nous distribuons des Bibles dans un pays où la liberté de rendre culte est supprimée. J’avoue que je suis aussi un peu tendu, mais nous prierons encore avant de partir d’ici.
Les deux jeunes gens continuèrent à manger leur pique-nique en silence. Du sommet de la colline où ils avaient laissé leurs bicyclettes, ils pouvaient voir le bâtiment menaçant du poste frontière. La littérature biblique et les Bibles n’étaient pas admises en Bulgarie. La semaine précédente, un voyageur passant la frontière avait été fouillé et dix Bibles avaient été confisquées !
Walt et Terry se demandaient si leurs propres efforts auraient plus de succès. Dissimulés dans leurs effets personnels et leurs sacs de couchage se cachaient deux cents Évangiles de Jean et quarante Nouveaux Testaments en édition de poche en langue bulgare. Pendant leurs vacances d’été, ces étudiants d’un collège biblique américain avaient décidé de mettre à profit leur voyage à travers la Bulgarie pour distribuer des Bibles et rendre témoignage au nom du Seigneur. Toutes leurs heures de prières et de travail – sans parler des économies faites pour l’achat des Bibles – avaient eu pour but ce jour-là.
– Ce pourrait bien être notre dernier repas avant que nous soyons réduits au pain et à l’eau, déclara Walt en avalant le reste de son sandwich. – Penses-tu que nous allons être arrêtés et jetés en prison ? fit Terry. Walt haussa les épaules. – Je veux bien admettre, continua Terry, que les chrétiens témoignant pour Christ dans les nations communistes ont subi pire que l’emprisonnement, mais nous prierons encore à ce sujet, Walt.
Tout au long de l’année écoulée, ils avaient prié instamment pour ce projet et ils savaient que dans leur pays, des chrétiens priaient pour eux. Leur repas terminé, ils inclinèrent leur tête. « Seigneur, commença Walt, nous te demandons encore une fois de nous guider. Tu sais combien ce peuple captif a besoin de Ta sainte Parole ». Après un instant de silence, Terry pria à son tour : « Notre Père ! Protège-nous et aide-nous à passer les Écritures sans incident au-delà de la frontière. Nous plaçons cette tâche entièrement entre Tes mains. Amen »
Puis ils sautèrent sur leurs bicyclettes et commencèrent à descendre la colline en direction du poste frontalier. – Terry, qu’allons-nous dire si les autorités ne fouillent pas nos affaires ? Je veux dire s’ils nous demandent seulement si nous transportons des Bibles ?
Terry jeta un coup d’œil à Walt. – Eh bien ! La volonté de Dieu est sûrement que nous passions ces Bibles. Si nous sommes questionnés, nous dirons « non », que nous ne transportons pas de Bibles. De toute façon, nous arriverons à les passer sans inconvénient. – Mais ce serait un mensonge, Terry ! Nous avons prié et remis cette affaire entre les mains du Seigneur. Si nous sommes questionnés et que nous mentons au sujet des Bibles, nous ne serons pas… – Ne discute pas ! abrégea Terry en passant à une vitesse supérieure pour franchir les quelques trente mètres qui les séparaient du poste de douane. Je me charge de répondre au questionnaire. Quant à toi, reste tranquille ! ajouta-t-il d’un ton que la crainte rendait impatient. Il haussa les épaules, soupira profondément, mais retint une excuse…
Levant la main, l’agent en uniforme les arrêta devant le poste. Terry et Walt tendirent leurs passeports en souriant. – Ah ! … des Américains ! s’exclama l’officier dans un mauvais anglais, tout en feuilletant bruyamment les documents. – Je suis l’inspecteur Manoloff. Excusez, je vous prie, mon pauvre anglais. Je n’ai pas souvent l’occasion de pratiquer votre langue, car peu d’Américains passent par ici. Il empocha les deux passeports en ricanant. – J’ai l’obligation de contrôler votre équipement de camping !
– Oui, Monsieur, bien sûr ! dit Terry avec un sourire forcé.
– Il n’est pas nécessaire que vous entriez dans le bureau, continua le douanier tout en détachant le sac de couchage de Terry de l’arrière de sa bicyclette. Il fait un temps idéal pour voyager, pas vrai ? dit-il encore. Terry approuva sans grand enthousiasme. – Je suis sûr de ne pas avoir à vous retenir bien longtemps, et après cela vous pourrez continuer. Terry répondit par un signe de tête et sourit en retour à l’agent. En voyant le douanier Manoloff entrer dans le poste avec les bagages destinés à être fouillés, le col de la chemise de Walt se trempa de sueur.
– Psst ! souffla Terry. N’imagine pas le pire, mais observe-le plutôt par la fenêtre. – Il regarde à l’intérieur d’un sac de couchage, dit Walt… – Seigneur ! pria Terry, permets qu’il ne voie pas les Évangiles !
Sans cesser de tourmenter nerveusement les poignées de son guidon, Walt continuait à jeter des coups d’œil nonchalants à l’agent debout derrière le comptoir de douane. Soudain, le rythme d’un chant folklorique bulgare sembla accélérer les mouvements de l’inspecteur en train de replier les vêtements. – Je… je ne puis le croire ! s’exclama Walt d’une voix contenue. Il ne va pas même fouiller mon paquetage ! Terry respira profondément : – Merci, Seigneur ! Quelques secondes plus tard, l’inspecteur Manoloff fixait à nouveau leurs équipements sur les bicyclettes.
– Vos bagages paraissent réglementaires, dit-il en sortant les passeports de sa poche ainsi qu’un timbre de caoutchouc et un tampon encreur. Toutefois, comme je n’ai examiné que la moitié de votre équipement, j’ai le devoir de vous poser une dernière question. Balançant le tampon au-dessus du passeport ouvert de Terry, il demanda : – Transportez-vous du matériel imprimé sous une forme quelconque ? Si c’est « non », je puis immédiatement vous donner libre entrée en Bulgarie. Tandis que le timbre voltigeait au-dessus de son passeport, Terry sentit son estomac se retourner. Il ouvrit la bouche, hésita, s’attendant à ce qu’un vomissement spontané l’empêche de parler. – Eh bien ! dit l’inspecteur. Avez-vous compris ma question ?
– Hum… oui, Monsieur… je veux dire… je… le regard de Walt fixé sur lui, Terry s’humecta les lèvres, respira profondément et dit enfin : – Oui, Monsieur, nous avons quelques portions de la Bible.
– Des Bibles ? Vous avez l’intention d’apporter du matériel chrétien dans mon pays ? Des Bibles ? Ces questions ainsi répétées firent trembler légèrement la voix de Terry lorsqu’il répondit : – Oui, Monsieur… dans notre paquetage et aussi dans nos sacs de couchage ! Fixant le passeport sur le guidon de Terry, les yeux de Manoloff allèrent de Walt à Terry. – Des Bibles ! Eh bien ! Je vous soupçonne d’avoir l’intention de faire bon nombre de lectures au cours de votre visite en Bulgarie !
Dix minutes plus tard, les jeunes gens pédalaient sur la route de Bulgarie, encore tout émus de l’interrogatoire bref du douanier. – Peux-tu vraiment le croire ? demanda Terry, alors qu’ils pénétraient sous l’ombre fraîche d’une forêt. Nous introduisons en ce moment des Bibles en Bulgarie. Par quel moyen, je ne le sais pas, mais le Seigneur a permis que les Écritures échappent au regard de l’inspecteur alors qu’il fouillait mon sac. – C’est vrai, admit Walt, mais le plus étonnant, c’est qu’il nous ait permis de les garder après que tu as déclaré avoir des Nouveaux Testaments et des Évangiles. Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis au sujet du mensonge, Terry ?
Terry haussa les épaules et sourit en disant : – Dieu est intervenu, je pense. Mentir n’aurait vraiment pas honoré le Seigneur. Les rayons du soleil pénétraient entre les arbres bordant la route et glissaient d’agréables rayons de chaleur au milieu de la fraîcheur des bois. – Je n’aurais jamais pensé être honoré d’une telle mission, continua Walt. Ne pourrions-nous pas trouver un endroit tranquille ici, le long de la route, pour rendre grâces tout de suite à Celui qui nous a dirigés ? – Eh ! Walt… peux-tu me pardonner la manière dont je t’ai apostrophé là-bas… juste avant d’atteindre la poste ? – Bien sûr ! Terry. Laisse tomber ça et…
Hi-hon !… Hi-hon ! lança une sirène stridente, noyant les dernières paroles de Walt. – C’est le douanier ! s’exclama Walt comme la sirène continuait. – Nous avons échoué ! murmura Terry. Il nous a juste laissés croire que nous étions libres. Et maintenant, il peut nous arrêter comme porteurs de Bibles. Manoloff descendit de voiture et salua.
– Vous faites de l’avance sur vos bicyclettes ! Il n’y a pas cinq minutes, j’ai découvert ceci, dit l’inspecteur en sortant deux Évangiles de sa poche et en les tendant à Terry. Ils étaient tombés sur le plancher tandis que je fouillais votre sac de couchage. Plusieurs exemplaires avaient glissé sur le comptoir d’inspection et je les avais remis à leur place. Mais je n’avais pas pris garde à ces exemplaires tombés par terre. Négligence de ma part ! Je viens de les trouver, il y a quelques minutes. Il jeta un regard aux étudiants et sourit en voyant la confusion se lire sur leurs visages. – Eh ! oui, je savais que vous cachiez du matériel religieux avant même que vous me l’ayez dit. Rien qu’en portant votre paquetage et votre sac de couchage, je savais qu’ils recelaient quelque chose. Leur poids ne parlait pas en leur faveur. Il sourit de nouveau, attendant une réponse que ni Walt ni Terry ne réussissait à trouver. – Oui, en ouvrant votre sac de couchage, j’ai découvert une de ces petites Bibles. Je me suis dit alors à moi-même : Alexandre Manoloff, ces voyageurs doivent être des chrétiens ! Les croyants américains sont-ils comme le seul chrétien que je connaisse dans mon propre pays ? Sont-ils droits et honnêtes comme Vasil Avrahamoff ? Ou bien vont-ils me mentir en espérant glisser des Bibles sous mon nez ? Je vais le voir.
Terry et Walt avalèrent péniblement leur salive, mais ne détournèrent pas leurs yeux de Manoloff. – C’est pourquoi j’ai fait comme si je n’avais pas découvert vos Bibles. Mais si vous aviez menti à ma question, je vous aurais confisqué toutes vos Bibles et renvoyés de l’autre côté de la frontière. De toute façon, vous avez décidé de dire la vérité et admis transporter des Bibles et j’ai respecté votre honnêteté. Vous êtes encore libres d’en faire ce qu’il vous semble bon. Je vous avoue même que j’ai gardé une de vos Bibles pour moi-même. Je vais la lire et chercher à comprendre ce qui vous donne le courage d’être vrais et d’entreprendre une telle mission.