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Courrier d’une lectrice :

Quand j’ai commencé à lire „Embrasse-moi, chérie », je pensais qu’il serait semblable à tous les romans d’amour. Mais que non ! Heureusement que j’ai lu ce roman avant d’aller plus loin … Ce roman m’a ouvert les yeux.

 

Nous publions le livre « Embrasse-moi, chérie » de Bruce et Carol Britten comme histoire continue avec l’aimable permission de l’éditeur CPE (Centre des publications évangéliques, Abidjan). Lisez-vous mémés l’histoire secouant de Céline…

Chapitre 1

 

Il faisait atrocement chaud. Sylvie et moi cherchions à nous protéger le visage tout en marchant.

– Je me demande quand Priscille accouchera, dis-je en léchant mon cornet de glace.

–Pourquoi t’en soucis-tu ? me demande Sylvie.

– Je n’en sais rien. Je suis juste curieuse !

– J’en suis curieuse, moi aussi, dit Sylvie en avalant rapidement sa glace qui fondait. Je suis désolée pour elle, poursuivit-elle. Plus personne ne la veut comme amie depuis qu’elle est enceinte. Je doute que quelqu’un lui ait rendu visite depuis le jour où elle a quitté l’école.

– Alors pourquoi ne vas-tu pas la voir ? demandai-je. Tu sais bien où elle habite !

– Moi ? Écoute, la seule chose que j’ai dite, c’est que je suis désolée pour elle, répondit Sylvie…  Je n’ai pas déclaré que je voulais devenir son amie. De quoi pourrions-nous parler ? Son seul souci, d’est de faire des enfants ; le mien, c’est l’école et les distractions !

Puis Sylvie ajouta, pensive :

– Je me demande qui voudra bien garder l’enfant ?

– Peut-être que les parents de son petit ami voudront le garder, dis-je.

– Ce doit être terrible… reprit Sylvie, …de faire un enfant et de le voir confié à quelqu’un d’autre…

– Mais qu’y peut-elle ?

– Je… n’en sais… rien, répondit Sylvie avec tristesse. Puis, elle reprit aussitôt : Tu ne me verras jamais enceinte tant que je serai à l’école !

– Moi, non plus, rétorquai-je.

Soudain, Sylvie jeta un coup d’œil sur sa montre et s’écria :

– Il faut que je file ! Maman m’a dit de rentrer tôt pour faire la cuisine.

– Tu veux dire que tu ne peux pas venir avec moi au Quick ?

– Désolée, Céline, on se verra demain, lança-t-elle par-dessus son épaule en courant à la maison.

Je lui fis au revoir d’un geste de la main et continuai au Quick. J’étais tenue d’y aller. Maman m’avait demandé d’acheter deux bouteilles de coca.

En réalité, sa vraie appellation c’est : Quick cuisine express. C’est notre endroit préféré, à nous les adolescents. Sylvie et moi y allons presque chaque jour après les cours. Au Quick il y a au moins une douzaine de tables où l’on peut s’asseoir et prendre un hamburger ou une boisson glacée. Parfois, nous passons près d’une heure á siroter lentement des cocas et à parler de tout…

Sylvie est ma meilleure amie. Nous nous entendons bien. Pendant nos causeries, nous n’avons pas besoin de longues explications pour nous comprendre. Nous ne nous cachons absolument rien. Je lui dis tout et elle ne me méprise jamais. Nous passons tous nos loisirs ensemble.

La seule différence entre Sylvie et moi, c’est qu’elle est belle. Elle a un très beau visage et de belles jambes. Les miennes sont trop petites. On m’a souvent dit que je suis belle, mais j’ai de la peine à le croire. À 16 ans, une fille doit être bien bâtie… mais moi… la peau me colle aux os ! Je ne suis probablement pas laide, mais je ne suis sûrement pas aussi belle que Sylvie. Chaque fois que les garçons se retournent pour nous regarder, je sais qu’ils n’ont de regards que pour elle…

En sortant du Quick avec le coca, j’entendis une voix murmurer : « Salut, jolie demoiselle ! Laissez-moi porter ces grosses bouteilles pour vous ! »

Je levai les yeux et vis un jeune homme superbement vêtu qui avait de larges épaules et m’adressait un merveilleux sourire.

– Non merci, je peux les porter moi-même.

Sans tenir compte de ce que je disais, il prit gentiment l’une des bouteilles et dit :

– Bien, portez-en une, je porterai l’autre.

Pourquoi n’ai-je pas serré les bouteilles contre moi en lui demandant de s’en aller ? En principe j’aurais dû le faire. Je me suis toujours montrée indifférente lorsque des garçons m’abordaient. Seulement, celui-ci était « spécial ». Peut-être à cause de son charme ou de sa voix assurée !

Je n’habite pas loin du Quick, par conséquent nous n’avons pas marché ensemble que pendant quelques minutes.

– Je ne suis arrivé qu’hier, me dit-il. J’habite à la cité Malesus, mais je viens passer les vacances l’été en ville, chez ma tante.

Quel ne fut pas mon désarroi lorsque je réalisai qu’il n’était là que pour deux moi et que je pourrais ne plus jamais le revoir !

Il me remit la bouteille avant que nous n’ayons atteint la maison et me dit :

– J’espère te revoir demain, à la même heure !

– Peut-être, lançai-je par-dessus mon épaule, tout en marchant vers la maison.

Un sourire aux lèvres, je me rendis compte que je ne connaissais même pas son nom, néanmoins j’avais l’impression de faire un beau rêve. En pensée, je revoyais ce beau corps bien musclé.

Je sautais les deux marches de la véranda et poussai la porte.

– Salut maman, lançai-je chaleureusement. Puis-je t’aider ?

Surprise, elle s’arrêta de couper le chou et leva les yeux sur moi. Habituellement, c’est elle qui me demandait de l’aider à faire le dîner.

– Merci, Céline. Va chercher un couteau dans le tiroir. J’espère que tu n’oublies pas ta promesse faite à Ruth de garder son enfant ce soir.

– Oh, oui ! J’avais complètement oublié. Il faut que je m’en dépêche !

Je m’empressai de préparer le dîner puis de faire la vaisselle, je n’eus donc pas e temps de penser à lui.  Et durant toute cette soirée, le petit Joël âgé de deux ans, le fils de Ruth, occupa mon esprit.

Je ne me suis jamais lassée de garder Joël. Certainement parce que j’aime beaucoup sa mère et son père. Personne sur la terre n’est plus gentil que Ruth et Simon ! Ils me mettent tellement à l’aise ! La seule chose que je n’apprécie pas en eux, c’est le fait qu’ils parlent de Dieu.

Par contre, j’aime beaucoup voir l’amour rayonner dans leurs yeux quand ils se taquinent et rient ensemble. On voit qu’ils s’aiment beaucoup.

Ruth est la seule adulte à qui je peux parler en toute franchise, mais j’ai décidé de ne pas lui faire savoir que j’ai fait la connaissance d’un garçon au Quick.

Le lendemain matin, je me sentais éperdument heureuse. Maman s’apprêtait à se rendre au travail. Quelle joie pour moi d’être en congé ! Je pourrais passer la plus grande partie de la journée à me préparer pour le rencontrer.

Puis, une peur soudain s’empara de moi… Et s’il ne venait pas ? Peut-être m’a-t-il juste parlé par politesse, alors qu’en réalité il me trouve laide… ?

Je m’assis sur le bord de mon lit. Que faire ? M’apprêter pour le rencontrer ou laisser tomber ?

Après m’être lavée et habillée, je me dis : il faut que je fasse un tour au Quick cet après-midi, juste au cas où… J’espérais tellement qu’il tienne sa promesse et vienne me trouver là-bas !

Juste après le repas de midi, je quittai la maison, espérant qu’il me trouverait belle. Tout au long du chemin, je ne cessai de me mirer dans les vitrines des boutiques.

Pendant que je descendais la dernière côte en direction de Quick, mes chaussures émettaient un son sec qui m’embarrassait beaucoup : clac… clac…

Puis une merveilleuse voix se fit entendre :

– Salut, belle demoiselle ! J’espère que tout ce bruit vient dans ma direction !

Je me retournai et vis une gracieuse forme adossée contre le mur, les bras croisés.

– Tu aimes le bruit ? demandai-je en souriant.

– Uniquement quand il est aussi charmant que toi, fit-il me rendant mon sourire.

– Je ne suis pas du bruit, je m’appelle Céline, dis-je en me tenant devant lui.

– Bonsoir Céline ! dit-il me tendant la main. Ravi de faire ta connaissance !

Je ne lui serrai pas la main. Je détourne plutôt mon regard et, feignant le sérieux, lui dis :

– Je ne peux pas serrer la main de quelqu’un que je ne connais pas !

– Oh, désolé, s’exclama-t-il en s’inclinant poliment. Moi c’est Ben ! Faisons connaissance ! Nous nous connaissons maintenant.

Son sourire se fit plus large, puis il rectifia :

– Tu as raison, charmante demoiselle ! Voudrais-tu venir prendre un coca avec moi ?

Bien sûr, allons-y ! répondis-je en riant.

Nous nous assîmes à une table tout au fond de la salle, sirotant lentement nos boissons glacées tout en cherchant à faire connaissance. Son père travaille dans le transport ferroviaire ; le mien est électricien. J’ai un grand frère et une petite sœur, lui n’a qu’une sœur aînée.

En fait, nous n’avons pas passé beaucoup de temps ensemble. Nous avons surtout ri et plaisanté.

Je sais qu’il aime le jazz et il a découvert que j’aime les crèmes glacées.

Vers la fin de la soirée, j’avais l’impression de bien le connaître, quoique nous n’ayons pas beaucoup parlé. Quand nous nous sommes quittés, il a chuchoté :

– Je te téléphonerai souvent…

– Au revoir ! lançai-je en rentrant à la maison.

J’étais si heureuse que j’eux l’impression que mes pieds ne touchaient plus le sol. Néanmoins, je me demandais : va-t-il réellement me téléphoner ? Je l’espère bien, murmurai-je doucement. Oh comme je le souhaite !

Chapitre 2

 

Le lendemain matin, je me réveillai complétement abattue. Je craignais que Ben ne me téléphone jamais.

Un garçon peut si facilement dire à une fille : « Je te téléphonerai souvent ! » même si elle ne l’intéresse pas et qu’il ne souhaite jamais la revoir.

Je restai au lit jusqu’à ce que ma mère parte au travail. Je n’avais envie de parler à personne. Puis je pris un bain et un léger petit-déjeuner. Je voulus téléphoner à Sylvie, mais je ne savais même pas quoi lui dire. J’étais tellement abattue. Je ne pensais qu’a Ben. Aurais-je fait quelque chose qui pourrait l’amener à ne plus vouloir me revoir ?

Soudain le téléphone retentit.

– Allô ! … dis-je en décrochant, pleine d’espoir… le cœur battant la chamade.

– Qu’y a-t-il ? demanda une voix familière d’un ton enjoué.

Ma voix trembla un peu lorsque je répondis :

– Pourquoi cette question ?

– Je viens de quick et la personne que j’espérai y trouver n’y était pas.

Soulagée par cette réponse, je demandai d’un ton espiègle :

– Et qui y cherchais-tu ?

– Toi, bien sûr !

Je n’en revenais pas ! Je pensai : « C’est moi qu’il cherchait ! »

– Alors… que décides-tu ? Qu’on se retrouve au Quick ?

– Je peux y être dans une heure, dis-je tout excitée. Je n’avais pas fini de m’habiller et mes cheveux étaient ébouriffés.

Ben se tut. Je pensai qu’il allait décider autrement.

– Toute une heure, s’exclama-t-il déçu. Mais… d’accord, je t’y attendrai.

– Entendu, à tout à l’heure.

Je raccrochai, me précipitai sur ma garde-robe, choisis une belle robe et me coiffai plus rapidement que d’habitude. Je ne pensais qu’à la joie de revoir Ben ! Il avait tenu sa promesse de me téléphoner !

Quand je quittais la maison, je m’efforçai de marcher correctement afin de dissimuler mon excitation. A mon arrivée, Ben m’attendait à l’entrée du Quick.

– Qu’est-ce qui t’a pris tout ce temps ? questionna-t-il, impatient.

Je jetai un coup d’œil sur ma montre.

– Oh ! je n’ai mis que cinquante minutes. Qu’est ce qui te rend si pressé ?

Depuis que je le connaissais, c’était la première fois qu’il semblait tendu.

– Je voulais jute te voir avant de retourner chez moi, aujourd’hui !

Mon cœur s’arrêta de battre. Il devait repartir chez lui !

– Je pars pour quatre jours seulement, poursuivit-il. Je reviendrai vendredi après-midi. Pourrais-je te voir vendredi soir ?

Nous commençâmes à marcher vers la sortie de la ville.

– Je suis désolée, dis-je avec tristesse. J’ai du babysitting à faire ce soir-là.

– Pourquoi pas annuler ? Dis-leur que tu as d’autres projets.

– Ce n’est pas possible. C’est chez Ruth. Elle et son mari ont une réunion à l’église. Je leur ai promis de garder leur fils.

– Qui est Ruth ? demanda Ben.

– C’est une amie.

Ben s’assit sur un petit mur et je m’assis à côté de lui.

Soudain j’eux une idée.

– Ecoute, et si tu venais là-bas ? Ruth et son mari partirons juste après le diner. En général je couche Joel assez tôt ; ainsi si tu arrives vers le coucher du soleil…

– J’y serai, s’exclama Ben avec empressement.

Sur un bout de papier, je traçai le plan pouvant le conduire chez Ruth. Il l’examina, approuva de la tête et le glissa dans la poche de sa chemise. Puis il se leva et me dit en souriant : « Á vendredi soir ! »

Emportée par mes pensées, je ne le vis pas partir, tout comme je ne vis pas Sylvie se diriger vers moi.

– Qui est ce beau garçon ? m’interrogea-t-elle avec un large sourire.

– C’est Ben, répondis-je, en faisant semblant de ne lui porter aucun intérêt.

Sylvie me demanda de l’accompagner faire ses courses, et, chemin faisant, elle me bombardait de questions sur Ben. Je feignis d’être indifférente, mais je suis certaine qu’elle devinait mes vrais sentiments.

Le jeudi s’écoula très lentement. Parfois, j’avais l’impression de ne pas pouvoir attendre une minute de plus avant de le revoir.

Lorsque finalement le vendredi arriva, je décidai de ne pas informer Ruth que Ben devait venir. D’habitude, je lui dis tout, mais cette fois-ci je décidai de ne rien dire. J’étais sûre qu’elle rétorquerait : « Il n’est pas bon pour toi de te retrouver seule dans une maison avec un jeune homme. » Mais c’est sûr, Ben et moi ne ferions rien de grave, et puis j’avais tellement envie de le voir !

Lorsque j’eus couché le petit Joël, je regardai ma montre à tout moment. Je feuilletai plusieurs magazines sans même y prêter attention.

Enfin, on frappa à la porte.

Je courus ouvrir. C’était Ben, toujours aussi sûr de lui.

–  As-tu fait un bon voyage ? demandai-je.

–  Bien sûr que non ! répondit-il en souriant.

–  Pourquoi non ?

Pendant que nous étions assis, il me prit par la taille et, amoureusement, me dit à l’oreille :

–  Parce que tu me manquais !

–  Tu me manquais à moi aussi, repris-je doucement. J’étais si timide que je ne pouvais pas le regarder en face. Gentiment, il prit mon menton et tourna mon visage vers lui.

–  Vraiment ? chuchota-t-il. Je fis oui de la tête en souriant.

Son baiser était tendre et léger. Je crus que l’allais fondre de plaisir !

Ben me fixa dans les yeux et dit :

– Je le savais.

–  Tu savais quoi ? demandais-je, craignant qu’il déteste mon baiser. Il me fit un autre baiser et poursuivit :

– Je savais que tu étais une charmante demoiselle. La première fois que je t’ai vue, j’étais sûr que ton baiser serait agréable.

Je souris ; il m’embrassa encore, puis il mit la main dans sa poche et dit :

– Quand j’étais chez moi, j’ai écouté un nouveau morceau. J’ai su qu’il allait te plaire. J’ai donc acheté le CD pour toi.

Il me remit un petit paquet.

–  Merci ! lui dis-je, débordante de joie. Je défis le plastique en me précipitant sur le lecteur CD de Ruth.

–  Lequel de morceau est-ce ?

C’est le premier. Il s’intitule : « Je ne t’abandonnerai jamais. » Je le sélectionnai.

Tu es mon rêve,

Ma vie, mon amour

Je ne t’abandonnerai jamais

Pour une autre

Je ne t’abandonnerai jamais,

Mon amour.

Je me retournai vers Ben tout en m’interrogeant sur les sens de ces paroles.

Pendant que la chanson passait, le sourire de Ben me tira de l’autre bout du salon. Je m’assis près de lui. Il passa son bras autour de ma taille et m’attira encore plus près de lui.

Je t’aime aujourd’hui

Et je t’aimerai toujours

Je ne t’abandonnerai jamais,

Ne crains rien.

Je ne t’abandonnerai jamais,

Je serais toujours près de toi.

Une fois que la douce musique s’arrêta, je murmurai :
merci beaucoup. C’est fantastique !

Le reste de la soirée, nous restâmes assis à causer. Il posa son bras autour de ma taille et sa main glissa légèrement jusqu’à ma poitrine. De temps à autre il me donnait un baiser. J’étais ravie… néanmoins j’avais un peu peur. J’étais soulagée, car il se limitait aux baisers.

Quoiqu’ayant un peu peur, j’aurais souhaité que la soirée ne se termine jamais. Ben me donnait un tel sentiment d’être aimée. Jamais de ma vie je n’avais reçu autant d’amour.

Je pense que mes parents m’aiment, seulement ils ne me le témoignent pas. Après tout, les parents sont tenus d’aimer leur enfant. Avec Ben, c’est différent, il était beau, il me trouvait exceptionnelle.

Lorsqu’arriva pour lui le moment de partir, je ne lâchai sa main que malgré moi. On se promit de se voir le lendemain au Quick.

Quand il fut parti, les sentiments merveilleux firent aussitôt place à l’inquiétude. Comment ai-je pu secrètement passer une soirée seule avec un garçon ? Pourquoi lui ai-je permis de m’embrasser et de me toucher de cette façon-là ? Et depuis quand suis-je le genre de fille qui a peur que ses parents sachent ce qu’elle fait ?

Cependant, le lendemain matin, je réussis à oublier toutes ces inquiétudes. À nouveau je ne pensais plus qu’à Ben.

Les jours commencèrent à passer vite, et presque chaque jour, Ben et moi passions quelque temps ensemble. Les courses… le tennis… la ballade… les glaces. Parfois, nous parlions de choses sérieuses, mais le plus souvent c’étaient des plaisanteries et des rires.

À la maison, j’écoutais et réécoutais notre chanson.

Sylvie commença à sortir de ma vie. Les seules fois où je la voyais, c’était pendant mes ballades en ville avec Ben. J’avais conscience que nos relations se refroidissaient, mais cela m’importait peu. Seul, Ben comptait pour moi.

Et vint le jour qui changea tout ma vie. C’était seulement deux semaines après notre première rencontre, mais nous avions l’impression de nous connaitre depuis beaucoup plus longtemps.

Assise à la maison, j’imaginais tout le plaisir qu’il y aurait à rendre de la crème glacée en ce jour de canicule, lorsque le téléphone sonna.

–  Allô !

– Allô, bébé ! Que dirais-tu d’un cornet de glace ?

–  Ce serait fantastique !

–  Tu peux me rejoindre dans dix minutes ?

–  Neuf et demi.

–  D’accord bébé.

Pendant que je faisais rapidement mes cheveux, je remarquai une chose : « Quelque chose a changé dans sa voix… plus tendre que d’habitude. Mais c’est peut-être moi qui l’imagine. »

Maman, puis je aller au glacier ? lançai-je depuis ma chambre.

D’accord, Céline, puis elle ajouta en plaisantant : Tu vas devenir ronde à force de prendre autant de glaces !

Maman croyait que comme d’habitude je sortais avec Sylvie. Par conséquent, je n’avais pas besoin de lui mentir.

À mon arrivée au Quick, Ben tenait un demi-cornet dans une main et dans l’autre un cornet au chocolat qui fondait… ma glace préférée ! Et il était en train de lécher mon cornet !

–  Arrête ! criai-je. Ta langue est attirée par ma glace.

–  Comment sais-tu que c’est la tienne bébé ?

–  Elle porte mon nom. Je la lui arrachai avant qu’il n’en consomme davantage.

Il faisait excessivement chaud, nous marchions tandis les crèmes nous rafraichissaient le corps.

–  Tu adores les glaces, Céline, n’est-ce pas ?

–  C’est ce qu’il y a de mieux ! soutins-je.

–  Et si tu n’avais jamais goûté les glaces jusqu’à ce que tu aies eu vingt-cinq ans… ? Si tes parents te les avaient déconseillées, tu aurais attendu… attendu… Si un jour tu en goûtais une et trouvais cela délicieux, ne regretterais-tu pas de ne pas avoir commencé plus tôt ?

–  Ben que veux-tu dire ?

–  En fait, ma douce, je veux que tu goûtes quelque chose de nouveau. C’est aussi intéressant que les glaces. Même plus !

–  Je ne sais pas de quoi tu parles, rétorquai-je, tout en espérant qu’il ne parlait pas de ce que j’imaginais.

–  Viens que je te le montre.

Il y eut un silence inhabituel entre nous jusqu’à ce que nous arrivions au coin où il commença à monter un escalier en direction de l’appartement de sa tante.

–  Tu viens ? plaidaient ses yeux en même temps que ses sourcils qui se relevaient.

–  Je ne sais pas, Ben.

–  Viens donc ! fit-il. Il me prit par la main et, gentiment, me conduisit.

Lorsque nous ouvrîmes la porte, tout était silencieux.

–  Où est ta tante ? m’exclamai-je. Elle ne sort jamais !

– Elle est partie pour une semaine… participer aux préparatifs d’un mariage.

– Vraiment ? Qui se marie ? Quelqu’un que je connais ?

Pas d’importance, répliqua-t-il en repoussant la porte de son pied.

Puis il me prit dans ses bras. Jamais auparavant il ne m’avait embrassée aussi passionnément. Je le repoussai.

– Tu as peur ? demanda-t-il, la voix pleine de sollicitude et de tendresse.

– Non… je veux dire, je ne sais pas. Je ne m’attendais pas à ça.

– Ne t’en fais pas, rit-il, le regard assuré que la voix.

Nous nous assîmes au bord du lit, puis il commença à m’embrasser tendrement dans le cou et sur l’oreille… puis ce fut sur les lèvres. Léger au début, son baiser devint si intense que j’eus peur. Je ne voulais pas aller jusque-là ! Gentiment, je le repoussai afin qu’on puisse parler.

Avant que je n’eus dit quelque chose, il me chuchota :

– Essayons la nouvelle expérience. Essayons-la maintenant.

– Mais Ben…, protestai-je, faiblement.

– N’oublie pas que c’est aussi doux que des glaces.

Il attendait tranquillement tandis que les idées défilèrent dans ma tête.

J’avais toujours peur, toutefois j’étais excitée… à l’idée du sexe. Je savais que nous nous aimions. Il est aussi vrai qu’il aurait été regrettable d’attendre d’être plus âgé avant de commencer à consommer les glaces. Peut-être qu’il en est de même pour cette expérience. Dans ce cas, pourquoi les adultes essaient-ils de nous tenir éloignés du sexe ? En ont-ils une raison suffisante ?

– Embrasse-moi, bébé, chuchota-t-il.

À nouveau ses baisers redevinrent tendres. Je laissai faire. Tout ce que je voulais, c’était d’être près de lui. Le monde extérieur semblait disparaitre à mes yeux à mesure que je me rapprochais de lui. Il commença à me toucher partout et je ne m’y opposai plus. Je ne voulais point l’arrêter. Un merveilleux sentiment d’amour me traversait de la tête aux pieds.

– Juste cette fois-ci, pensai-je. Pourquoi attendre ? « Nulle ne tombe enceinte au premier essai ». Je suis sûre d’avoir entendu les ainées tenir ce propos.

Nous ne tardâmes pas à nous déshabiller et à nous mettre au lit. J’étais surprise de ne pas être embarrassée à cause de ma nudité.

Mais ensuite… quelle douleur !

Personne ne m’avait prévenue que cela faisait si mal. Je m’attendais à la plus merveilleuse sensation et au plus grand plaisir.

Lorsqu’il eut fini, il m’embrassa encore une fois sur la joue, puis se roula sur le côté et se mit à dormir.

Je ne pouvais pas pleurer. Je n’étais pas vraiment triste. J’avais juste honte.

En même temps, j’étais surprise.

– C’est tout ? m’interrogeai-je. Ce n’est vraiment que ça ? Est-ce cela l’expérience que tout le monde qualifie de fantastique ?

Je descendis doucement du lit. Je ne voulais pas réveiller Ben. Je pris mes habits et les enfilai. Puis je m’assis sur une chaise et le regardai dormir. Que faire d’autre ? J’étais incapable de penser à quoi que ce soit.

Chapitre 3

 

Regardant ma montre, je constatai qu’une heure avait passé lorsque Ben se réveilla enfin.

– Salut chérie ! lança-t-il avec gaieté. Es-tu contente de l’avoir fait ?

Je souris faiblement et mentis :

– Bien sûr. C’était fantastique.

– Approche, fit-il de la main.

Je m’assis sur le bord du lit espérant qu’il ne me toucherait pas. Il se releva légèrement et mit sa main sur ma joue. Ensuite, il m’attira vers lui, puis m’embrassa gentiment. Il m’embrasse tendrement, mais ne tient pas compte de ce que je ressens, pensai-je avec colère.

Ben interrompit mes pensées :

– Pourquoi t’es-tu rhabillée ? Tu étais si belle sans tes habits.

– Oh, ne suis-je pas belle habillée ? dis-je, essayant d’adoucir ma voix. Je ne voulais rien dire qui pourrait amener Ben à se désintéresser de moi.

Il s’assit dans le lit et me fixa :

– Qu’y a-t-il, Céline ? Y a-t-il quelque chose qui te tracasse ?

– Je suis désolée, Ben. C’est ce que… (je regardai ma montre afin de pouvoir mentir encore). Il se fait plus tard que je croyais. Il faut que je rentre à la maison. Maman se demandera où je suis.

Je lui fis un baiser mi-enthousiaste sur la joue et m’élançai.

Chemin faisant, j’évitais toutes les grandes voies. J’avais tellement peur de rencontrer quelqu’un que je connaissais. Je voulais que personne ne me voie. Ma seule pensée : arriver à la maison où je pourrais être seule. Je voulais désespérément me laver… pour être à nouveau propre.

Silencieusement, je rentrai dans ma chambre et me dévêtis. Je ne souhaitais pas que maman voie mes habits, ainsi donc, je les fourrais en bas du lit en attendant d’avoir l’occasion de les laver moi-même.

Je restai dans ma chambre jusqu’à l’heure du dîner. J’avais peur de regarder mes parents pendant le repas. J’étais certaine qu’ils sauraient tout rien qu’en me regardant.

Ils ne surent rien ! Pour eux, c’était comme avant !

Je dus m’efforcer de sourire et prendre part aux causeries habituelles.

Après le repas, j’étais heureuse de me retrouver seule dans ma chambre, loin de mes parents. Mais le sommeil refusait de venir m’arracher à mes multiples pensées.

Chaque fois que je fermais les yeux, je ressentais le corps de Ben sur moi, je revivais ses mouvements, mouvements qui m’ont blessée autant dans mon corps que dans mon cœur.

« Que m’arrive-t-il ? me demandai-je en silence. Pourquoi suis-je si perturbée ? »

Je restai dans ma chambre jusqu’à l’heure du dîner. J’avais peur de regarder mes parents pendant le repas. J’étais certaine qu’ils sauraient tout rien qu’en me regardant.

Ils ne surent rien ! Pour eux, c’était comme avant !

Je dus m’efforcer de sourire et prendre part aux causeries habituelles.

Après le repas, j’étais heureuse de me retrouver seule dans ma chambre, loin de mes parents. Mais le sommeil refusait de venir m’arracher à mes multiples pensées.

Chaque fois que je fermais les yeux, je ressentais le corps de Ben sur moi, je revivais ses mouvements, mouvements qui m’ont blessée autant dans mon corps que dans mon cœur.

« Que m’arrive-t-il ? me demandai-je en silence. Pourquoi suis-je si perturbée ? »

 

La fois suivante où nous fîmes l’amour, Ben utilisa le condom.

– Rien que pour se protéger déclara-t-il. Ne t’en fais pas chérie, j’en utiliserai chaque fois que nous ferons l’amour.

L’expression « faire l’amour » me choqua. Est-ce vraiment cela l’amour ? m’interrogeai-je. Sommes-nous vraiment en train de faire l’amour ?

Durant toute la semaine, je fis l’amour avec Ben chaque fois qu’il le voulait. Et chaque fois j’espérais ressentir le plaisir… vous savez, le plaisir dont parlent certaines filles. Mais à chaque fois j’étais déçue.

J’aimais bien sa façon romantique de me câliner.

Chaque fois avant de faire l’amour, il me prenait, me caressait et m’embrassait passionnément. Ses mots tendres emplissaient mon cœur de bonheur.

– Céline, je t’aime, répétait-il toujours. Aussitôt il me pénétrait et mon plaisir disparaissait.

Lentement, une semaine… deux semaines… trois semaines passèrent. J’étais sur le point de perdre le sourire. Je devins calme et triste. Un jour ma mère me demanda avec inquiétude :

– Céline, que t’arrive-t-il ces derniers temps. Tu n’es plus la même. Qu’est devenue ma joyeuse Céline ?

Maman était inquiète pour moi, mais Ben ne l’était point. La seule chose qui l’intéressait, c’était mon corps.

Le téléphone sonna. Je décrochai et entendis Ben excité.

– Allô, chérie ! Et si on partait prendre une glace ?

Je voulus refuser, mais impossible. Je m’efforçai plutôt à paraître aussi excitée que lui.

– D’accord, Ben, j’arrive dans quelques minutes.

 

Tout en raccrochant, je me dis : A quoi suis-je en train de jouer ? Je suis fatiguée de jouer ce rôle !

Je marchais lentement pour le rejoindre, mes pas étaient aussi lourds que du ciment.

Je souhaitais parler avec quelqu’un de ce que je vivais. Je ne pouvais pas le faire avec Sylvie. ]’avais le sentiment de ne plus la connaître.

– Céline !

Une voix me surprit. Je me retournai :

– Ruth ! Il y a longtemps que je ne t’ai pas vue…, m’écriai-je effrayée.

– Je le sais, sourit-elle. Tu m’as manqué. Je voudrais aussi savoir : pourrais-tu garder notre enfant ce samedi ?

]’avais tellement de choses dans la tête que je mis un instant avant de réaliser qu’elle m’avait posé une question.

– Euh, …oui, avec plaisir, répondis-je finalement.

– Céline, quelque chose te tracasse-t-il ? me dit-elle tout inquiète.

– Pas vraiment. Je réalisai rapidement qu’il me fallait encore mentir. Je voulais lui parler, mais pas à propos de Ben et moi. Ainsi je dis :

– J’ai appris hier que Priscille a accouché d’une fille.

– C’est bien, sourit Ruth.

– Elle va commencer à travailler maintenant au lieu de reprendre le chemin de l’école. (J’observai une pause cherchant les mots appropriés pour la suite.)

– Depuis la grossesse de Priscille, je pense à plein de choses… la sexualité par exemple. Je me pose plusieurs questions. Pourrions-nous en parler ?

– Oui. Aujourd’hui ?

– Non, j’ai un rendez-vous.

– Pourquoi pas demain après-midi, chez moi ?

– Sans faute, répondis-je en souriant. Je consultai ma montre et dis rapidement au revoir.

 

Le jour suivant, lorsque j’entrai chez Ruth, le petit Joël courut vers moi.

– Céline, Céline ! criait-il de sa douce voix enfantine.

Ruth nous servit chacune un verre de jus d’orange et nous nous assîmes côte à côte. Après les petites formalités habituelles, elle me demanda :

– Alors, quel genre de questions te poses-tu ?

Essayant de parler d’une voix normale, je commençais :

– La situation de Priscille me fait réfléchir sur la sexualité. (]’expirai fortement comme pour faire sortir les mots suivants qui me pesaient tellement.)

– Ruth, pourrais-je savoir… tu aimes le sexe ?

Sans grande surprise, elle répondit :

– Bien sûr, Céline je l’aime. Qu’y a-t-il ?

]’essayais de faire comme si le sujet m’intéressait peu.

– On écrit tellement de choses sur le sexe dans les magazines ; les filles aussi en parlent beaucoup. Je voulais savoir si le sexe est vraiment aussi important. Je me rends compte que dans notre société, les gens ne parlent pas de ces choses. Tu es la seule personne à qui je puisse le demander.

Compréhensive Ruth sourit.

– Céline, le sexe peut être bon tout comme il peut être mauvais. Tout dépend des relations qu’il y a entre les deux partenaires. Si cette relation est bonne, les rapports sexuels sont merveilleux. Si elles ne le sont pas, le sexe devient source de culpabilité et d’angoisse.

– Qu’entends-tu par « bonne relation » demandai-je en prenant une gorgée de jus.

– Une bonne relation, c’est le mariage, un mariage où règnent la confiance et l’amour. Je sais que mon mari m’aime et ne me quittera pas du jour au lendemain. Je n’ai pas besoin de me donner à lui pour le garder. Et pendant les rapports sexuels, il ne pense pas qu’à lui seul ; il tient compte de moi et fait en sorte que ceux-ci me procurent du plaisir.

– Par contre, je pense qu’il est possible de s’aimer et se faire confiance sans être mariés.

Quand je prononçais les mots « faire confiance » et « aimer » je réalisai que je ne faisais pas confiance à l’amour que Ben prétendait avoir pour moi. Dans mon for intérieur, j’avais bien peur qu’il me quitte si je refusais d’avoir des rapports sexuels avec lui.

– Donc, poursuivis-je, ce que je veux vraiment savoir c’est : en quoi les rapports sexuels avant mariage peuvent-ils être mauvais ?

Ruth prit le petit Joël et lui fit boire du jus.

– Parce que Dieu dit que c’est une erreur. Et il a de bonnes raisons de le faire. Il nous connaît bien. Il nous a créés et a aussi créé le sexe… par conséquent il sait de quoi il parle.

– Quelles sont ces raisons ? interrogeai-je, sceptique.

– Dieu ne nous donne pas de règles sans raison. Il nous aime, c’est pourquoi il nous donne des règles pour nous protéger. Ne sais-tu pas, par exemple, que ceux qui vivent dans le péché charnel contractent souvent des maladies vénériennes ?

– Tu fais allusion au SIDA ?

– Le SIDA n’est que l’une d’elles. À côté du SIDA il y a bien d’autres maladies sexuellement transmissibles. La blennorragie par exemple se contracte par voie sexuelle. Elle peut nous rendre stérile. Je connais une fille tout près d’ici, dans notre voisinage, qui ne pourra jamais procréer tout simplement à cause d’une blennorragie qu’elle a con- tractée avec son petit ami. Comme elle regrette de n’avoir pas dit non aux rapports sexuels avant le mariage !

]’écarquillai les yeux, mais ne dis rien.

Ruth poursuivit :

– Dieu a fait le sexe et l’a rendu agréable. Il veut que chaque mari et sa femme en jouissent.

– Attends une minute, l’interrompis-je. Certaines personnes déclarent que Dieu ne veut pas que l’on jouisse du sexe.

Ruth rit.

– Juste le contraire ! Dieu veut que nous jouissions beaucoup du sexe. Seulement, ne l’oublions jamais comme Dieu a fait le poisson pour l’eau, il a fait le sexe pour le mariage. C’est pourquoi ceux qui entretiennent des rapports sexuels hors mariage n’en tirent jamais le plaisir promis par Dieu.

– Mais j’ai entendu dire que c’est terrible de se marier à une personne vierge. Comment pourrait-on bien faire l’amour si l’on ne s’y essaie pas au préalable ?

À cet instant le petit Joël s’étant endormi, Ruth le coucha.

– Je sais que nombreux sont les jeunes qui pensent la même chose que toi. Mais voici la réalité : les meilleurs mariages sont ceux qui se font entre deux personnes vierges, le jeune homme tout comme la jeune fille. Ainsi, l’un peut apprendre de l’autre. Tu découvres ce qui plaît à ton mari et lui, il apprend à te faire plaisir. Aucun souvenir douloureux ne vient entraver le plaisir. Pour tous les deux, tout est nouveau !

Je baissai les yeux et demandai :

– Alors pourquoi les garçons insistent-ils tant à faire l’amour avec leurs petites amies ?

– Beaucoup de garçons sont égoïstes. Ils se disent : faire l’amour est un jeu amusant pour moi. Ainsi, ils le font sans réellement tenir compte de la fille. Ils se disent : j’aime ça et c’est tout ce qui compte.

Ruth remua la tête, puis ajouta :

– Comme c’est égoïste !

– Je n’arrive pas à comprendre tout cela, dis-je, mais en réalité je mentais. En fait, je comprenais parfaitement ce qu’elle disait. J’en faisais l’expérience avec Ben.

– Jusqu’à ce que je me marie, je n’y comprenais rien moi non plus, reprit Ruth. Ce n’est qu’après le mariage que je commençai à comprendre qu’aimer, c’est donner. L’amour procure de la joie à votre conjoint. Il fait que l’autre se sent bien. Il n’y a rien de mal en cela. Dieu a soigneusement prévu le sexe comme un cadeau que les conjoints peuvent offrir l’un à l’autre. Maintenant que j’ai compris cela, je suis si heureuse du plan et des règles de Dieu. Et ceci inclut son principe selon lequel nous devons nous abstenir des relations sexuelles jusqu’au mariage.

– Tu veux dire que tu étais vierge au jour de ton mariage ?

– Oui, nous l’étions tous les deux, Simon et moi. Mais ça n’a pas été facile. Nous y sommes arrivés grâce à Dieu, nous évitions les chambres à coucher et la brousse ! Elle souriait, le regard lointain… se souvenant.

– Ça a été très difficile !

 

Ruth se retourna et me regarda dans les yeux :

– Céline, nous sommes si heureux d’avoir attendu jusqu’au jour de notre mariage. Pour ce qui est du sexe, Céline, attends. Tu ne le regretteras jamais.

– Merci pour l’entretien, fis-je, essayant de sourire.

– De rien, Céline. Tu viendras samedi, j’espère.

– Absolument. J’embrassai tendrement la joue de Joël et dis au revoir à Ruth.

Sur le chemin du retour, une voiture qui roulait lentement me dépassa, les vitres baissées et la radio claironnait :

Je ne t’abandonnerai’ jamais,

Pour une autre…

Je ne pus retenir mes larmes. Ruth avait raison au sujet des rapports sexuels. Je compris que je devrais cesser de me causer du tort… il faut que je dise non à Ben !

Chapitre 4

 

– Ben, je ne peux pas continuer ainsi, fis-je, le visage serré contre sa poitrine nue.

Il me tenait dans ses bras et me rapprocha de lui :

– Que veux-tu me dire, chérie ?

–Je veux être… (Sa poitrine fut aussitôt mouillée par mes larmes. Je veux redevenir une jeune fille. Je suis fatiguée de me comporter comme une femme. Je ne veux plus avoir de rapports sexuels.

]’espérais qu’il allait être gentil et compréhensif. Au contraire, il me repoussa afin de pouvoir regarder mon visage.

– Qu’entend-on par : je ne veux plus de rapports sexuels ? interrogea-t-il avec colère. Je le fixai de mes yeux noyés de larmes tout en m’efforçant de ne pas éclater en sanglots. Pour moi, poursuivit-il, les rapports sexuels sont fantastiques. Comment peux tu ne pas en vouloir ? (Soudain je le compris. La colère au ventre et dans la voix, je cessai de pleurer.) À présent je comprends ! Tu as peur que je dise à quelqu’un que tu es nulle au lit. Tu ne penses pas à moi. Tu as tout simplement peur que je salisse ta réputation !

Je sautai du lit, lui tournai le dos et m’habillai rapidement. Quand je me retournai pour sortir, je vis que ses yeux étaient pleins de colère. Il resta silencieux et me regarda partir.

 

Chemin faisant, je décidai en mon for intérieur : je dois juste oublier Ben ! Il faut que je retourne à la vie que je menais avant de l’avoir rencontré !

– Arrivée à la maison, je passai à côté de ma sœur sans rien dire et fonçai droit sur le téléphone. ]’avais presque oublié le numéro de Sylvie.

– Allô Sylvie ! dis-je en prenant un ton enjoué, comment vas-tu ? Allons-nous promener cet après-midi, veux-tu ?

Elle observa un long silence. Puis, avec amertume, elle demanda :

– Que s’est-il passé avec Ben ? Est-il reparti à Malesus ?

– Non, je pensai juste… je veux dire… on ne s’est pas vues depuis…

Sa voix s’adoucit.

– Je suis contente que tu aies appelé, Céline. ]’étais choquée… à l’idée que tu n’aies plus de temps pour moi.

– Je n’ai jamais voulu te choquer, Sylvie. J’ai eu tellement à faire, ce que j’essaie de te dire, c’est que… je suis désolée.

– C’est compris, Céline. On se retrouve en ville comme d’habitude.

– Merci !

Après avoir fait les courses, nous allâmes au Quick pour siroter un coca. Je faisais tellement d’efforts pour ne pas pleurer, mais finalement une larme perla de mes yeux. ]’attendis que Sylvie regarde de l’autre côté, puis, furtivement j’essuyai ma joue.

Mais elle le remarqua :

– Céline, tu n’as pas été en bonne forme durant toute la soirée… et à présent tes yeux sont pleins de larmes. S’il te plaît, dis-moi ce qui te tracasse !

Je voulus parler :

– Oh, Sylvie…

Mes larmes ruisselaient sur mes joues. La seule chose que je pus faire, c’est de secouer la tête, me saisir de mon mouchoir et courir dehors.

Me retournant, je la vis venir à moi. Je n’oublierai jamais le regard rempli de compassion qu’elle avait pendant qu’elle bousculait les gens et les chaises en tentant de rejoindre la sortie.

– Céline, Céline ! suppliait-elle.

Je continuai de courir jusqu’au tournant. Une fois assurée qu’elle ne pouvait plus me voir, je commençai à marcher, puis laissai couler mes larmes de colère.

Après avoir fait les courses, nous allâmes au Quick pour siroter un coca. Je faisais tellement d’efforts pour ne pas pleurer, mais finalement une larme perla de mes yeux. ]’attendis que Sylvie regarde de l’autre côté, puis, furtivement j’essuyai ma joue.

Mais elle le remarqua :

– Céline, tu n’as pas été en bonne forme durant toute la soirée… et à présent tes yeux sont pleins de larmes. S’il te plaît, dis-moi ce qui te tracasse !

Je voulus parler :

– Oh, Sylvie…

Mes larmes ruisselaient sur mes joues. La seule chose que je pus faire, c’est de secouer la tête, me saisir de mon mouchoir et courir dehors.

Me retournant, je la vis venir à moi. Je n’oublierai jamais le regard rempli de compassion qu’elle avait pendant qu’elle bousculait les gens et les chaises en tentant de rejoindre la sortie.

– Céline, Céline ! suppliait-elle.

Je continuai de courir jusqu’au tournant. Une fois assurée qu’elle ne pouvait plus me voir, je commençai à marcher, puis laissai couler mes larmes de colère.

 

Quand j’arrivai à la maison, les larmes avaient séché, mais la colère bouillonnait toujours en moi.

Je trouvai une note sur mon lit : « Ben a téléphoné ! Rappelle-le ! »

Naturellement c’était ma sœur Eunice qui l’avait écrite. À douze ans, elle écrit toujours de brèves notes sans jamais donner de détails.

Je réfléchissais… Peut-être dois-je lui téléphoner pour lui faire savoir combien il m’a énervée…

Juste à ce moment, le téléphone sonna.

– Allô !

– Céline, je suis désolé.

Ma voix était glaciale.

– Est-ce vrai ?

– Je suis sérieux, Céline. Je regrette de t’avoir mise sur les nerfs. Tu sais que je t’aime. (La glace fondit un petit peu.) Tu me pardonnes ? demanda-t-il avec douceur.

– Je… pense que oui. (Puis ma voix se détendit complètement et je chuchotai : …Je t’aime moi aussi.

Ben était si habile. Gentiment, il avait reconquis mon cœur, et le tenait fermement.

– Écoute, Céline. J’accepte ce que tu as dit à propos des rapports sexuels. On peut arrêter pendant une semaine.

– Entendu, dis-je chaleureusement… Merci !

 

J’étais sûre qu’il n’avait pas réellement accepté. Il pensait certainement que mes réactions étaient dues à mes règles, alors que je n’étais pas en période de menstruation. Je ne savais même pas la date de mes prochaines règles. J’ai un cycle irrégulier. Il m’arrive souvent de ne pas avoir mes règles pendant un ou deux mois.

Mais je ne dis rien à Ben au sujet de mes règles. Je lui étais tout simplement reconnaissante à cause des sept jours sans rapports sexuels.

Ainsi, je profitai de chacune des minutes de cette semaine-là.

Nous sortions et passions de longs moments à écouter de la musique. Nous téléphonions aussi à ses amis et les rencontrions au tennis. Durant tout le mois dernier, nous n’avions fait aucune de ces activités. Que c’était merveilleux de parler, de plaisanter et de rire à nouveau !

Souvent nous rencontrions Sylvie en ville. Elle portait toujours sur moi un regard inquiet, quant à moi, j’évitais de lui parler. Je ne voulais pas qu’elle sût que quelque chose m’inquiétait.

Puis la semaine s’écoula. Lorsque nous retournâmes au lit, je remarquai que rien n’avait changé. Je dissimulai ma déception à Ben. Je souhaitais lui dire ce que je ressentais, mais je savais qu’il se remettrait en colère. Je me levai et m’excusai auprès de lui disant qu’il me fallait rentrer tôt à la maison.

Arrivée à la maison, je fonçai droit dans ma chambre. Je voulais être seule afin de réfléchir sur tous ces sentiments contradictoires. Je me couchai dans mon lit en écoutant notre chanson qui emplissait ma chambre.

Je ne t’abandonnerai jamais…

Je pensai à mes sentiments confus. Ils oscillaient… aimer Ben… ne pas l’aimer… Quand Ben et moi sommes vêtus, mes sentiments sont positifs et la vie est belle. Dès que nous sommes nus, les frustrations et la déception m’envahissent.

J’avais envie de crier : « Je ne suis pas heureuse !!! » Mais à qui pouvais-je m’adresser ? Ainsi passaient les semaines… pleines de hauts et de bas.

 

Vers la fin des congés d’été, Ben et moi nous retrouvâmes au Quick pour siroter du coca.

– Nous revoilà, dis-je, essayant de sourire, assis à l’endroit même où nous avons commencé l’été !

Ben était bizarrement silencieux.

Tout doucement je lui dis :

– Parlons de notre première rencontre ici.

C’était comme si Ben ne m’avait pas entendu. Il dit seulement :

– Je pars demain, mon bébé.

– Vraiment ? Pour combien de temps ?

– Céline, réfléchis ! Je pars chez moi, à Malesus. La rentrée, c’est mardi.

J’avais presque oublié qu’un jour il partirait définitivement…

– Oh ! m’exclamai-je.

Mais pourquoi n’étais-je pas triste ? Pourquoi étais-je soulagée ? Pourquoi avais-je l’impression que j’allais être débarrassée d’un lourd fardeau ? Pourquoi ne pleurais-je pas de chagrin ?

Il me toucha la main.

– Je ne sais pas quand je te reverrai, chérie.

– Ne pourrais-je pas te revoir demain ?

– Non. Je dois partir tôt.

– Ne pourras-tu pas venir me voir pendant les fins de semaines ?

Ben tortillait nerveusement un bout de la nappe de table.

– Je ne sais pas, Céline. Le voyage est trop long pour un week-end. Tu sais combien c’est coûteux.

Mes sentiments recommencèrent à osciller.

Le temps d’une minute, j’imaginais des possibilités pour Ben de me rendre visite. La minute d’après, j’étais soulagée de ce qu’il ne pourrait pas le faire.

 

Dans mon for intérieur, je savais que je n’aurai plus de rapports sexuels. J’étais contente du fait que cela prenne bientôt fin… afin que je redevienne une simple élève.

Nous partîmes du Quick, marchant aussi lentement que possible. À quelques pas de chez moi, je me plaçai en face de lui.

– Ben, je…

Avant que je ne termine ma phrase, Ben me prit par les mains et chuchota un instant :

– Je t’aime, Céline. Au revoir.

Il partit, fit quelques pas puis se retourna pour me dire :

– N’oublie pas notre chanson.

Puis, il repartit.

Rien ne coïncidait… ni mes sentiments ni son attitude. C’était si différent de tous les romans d’amour.

Je savais qu’il partait le lendemain, et pourtant, cela ne semblait pas possible qu’il s’en aille effectivement. Il était devenu une partie de moi.

Je savais avec certitude que l’amour ne finit pas aussi simplement que l’au revoir de Ben. Je retournai et marchai vers la maison, en pensant : « Ben reviendra dans deux semaines. Il ne pourra pas m’oublier ».

Chapitre 5

Ce matin-là, je commis une terrible gaffe, je ris au mauvais moment. Maintenant, j’en ai bien honte. Je n’avais jamais été aussi irrespectueuse. Cela arriva lorsque Ruth parla de Jésus. Depuis que je la connaissais, je l’avais toujours écoutée avec patience parler de Jésus. Il est évident qu’il est son meilleur ami. Bien qu’elle ne veuille pas te convaincre, elle parle naturellement de Jésus, comme je le fais de mes amis.

C’était tout juste après le petit-déjeuner, lors de l’une de mes visites chez elle. Elle était assise ã sa machine à coudre, confectionnant une robe. Nous causions pendant qu’elle cousait. Finalement, je commençai à lui raconter certaines situations qui me troublaient.

– Tu sais, il m’arrive souvent de penser que personne ne m’aime.

 

Ruth était en train d’enlever des épingles d’une robe à terminer.

– Pourquoi penses-tu cela Céline ?

– Je n’en sais rien. Maman est toujours tellement occupée par son travail. Elle n’a que peu de temps pour elle-même, encore moins pour moi.

– Et ton papa ?

Je m’installai sur ma chaise et réfléchis.

– Papa est toujours calme, dis-je finalement. Il me parle rarement, de même qu’aux autres. Maman dit que son travail est si éprouvant qu’il ne lui reste plus d’énergie lorsqu’il arrive à la maison.

Ruth leva les yeux de son travail. Elle me dit gentiment :

– Céline, tu sais dans ton cœur qu’ils t’aiment.

– Oui ! Je le suppose. (Je baissai les yeux pour ne pas affronter son regard.) Je souhaiterais qu’ils me le prouvent plus souvent.

Je fixai Ruth, elle était à nouveau penchée sur sa machine.

– Pourquoi ne peut-on pas toujours être aimée ? demandai-je.

Alors, Ruth leva les yeux vers moi et son tendre regard croisa le mien.

– Céline, je connais un ami qui t’aime tout le temps. Il est toujours près de toi lorsque tu as besoin de parler à quelqu’un.

– De qui s’agit-il ?

– De Jésus.

C’est là que j’ai ri. Je ne voulais pas rire… c’est pourtant arrivé. Son idée me paraissait si drôle ! Comment quelqu’un que je ne connais même pas, pourrait-il … m’aimer ?

Plus tard, étant à la maison, j’y repensais et me dis : « Je dois m’excuser auprès de Ruth. » Mais le lendemain c’était la rentrée des classes et j’avais encore plusieurs choses à préparer. Ainsi donc je mis tout cela au fond de mes pensées.

 

Je fis un effort pour oublier. Le lendemain matin, j’étais toute souriante sur le chemin de l’école. Sylvie m’attendait au coin de la rue.

– Pourquoi es-tu si triste ? demandai-je gaiement.

– La rentrée des classes est le pire moment de l’année, se lamenta-t-elle tandis que nous marchions en direction de l’école.

– Presque le pire, repris-je. Il n’y a qu’un seul moment qui est vraiment pire que tout.

– Lequel est-ce ?

– La semaine des examens !

– Ah oui ! rit-elle. Comment pourrais-je oublier ?

– Je serai si heureuse lorsque j’aurai terminé le lycée ! Penses-y, plus que deux années !

Notre conversation se poursuivit facilement… comme pendant les beaux jours avant ces vacances…

avant de connaître Ben.  

– Quelles matières as-tu choisies ? me demanda Sylvie.

– La dactylographie et la biologie et…

– La biologie ! s’exclama Sylvie. Comment peux-tu ?

C’est M. Sanka qui l’enseigne. Que c’est ennuyeux !

– J’y suis obligée. Je dois suivre les cours de biologie. Comment pourrais-je réussir en sciences à l’université si je n’ai pas de base au préalable ?

Bientôt la cour de l’école se remplit d’élèves tout joyeux, s’interrogant les uns les autres sur leurs vacances.

 

Toutes les fois qu’on me posait la question, je souriais et disais : « Super ! »

Avant notre premier cours, Sylvie me demanda :

– Que fais-tu après les cours ? Voudrais-tu venir chez moi pour quelques minutes ?

– Merci, Sylvie, mais je suis tellement fatiguée ces jours-ci ; je voudrais rentrer directement chez moi pour me reposer.

– Te reposer ? Es-tu sérieuse ?

Embarrassée, je fis oui de la tête, sans rien dire d’autre.

Après l’école, je dis à ma sœur :

– Si quelqu’un m’appelle au téléphone, tu peux me trouver dans ma chambre. Puis j’allai tout droit au lit et m’endormis en écoutant « notre » chanson.

– Céline… Céline, réveille-toi !

J’ouvris les yeux et vis maman qui me secouait.

– Est-ce le téléphone ? demandai-je immédiatement.

Non c’est l’heure de dîner. Alors, viens dormeuse !

Durant toute la semaine, maman dut toujours me réveiller pour le dîner. Puis, elle me grondait de n’avoir pas aidé à préparer le repas.

Ça me gênait de ne pas l’aider, mais j’avais toujours trop sommeil. Je pensais que cela était dû à mon nouvel horaire scolaire qui m’épuisait complètement.

Tous les soirs, pendant que je faisais mes devoirs de maison, je m’empressais de prendre le téléphone chaque fois qu’il sonnait. Je disais toujours un chaleureux « allô » espérant entendre la voix de Ben. Mais c’était toujours la voix de quelqu’un d’autre et mon découragement grandissait.

 

Dimanche soir c’était le désarroi total. Pourquoi Ben ne m’a-t-il pas appelée ?

Le lundi matin je ne sortis de mon lit que trente minutes avant l’heure à laquelle je rencontrais Sylvie. Je me sentais très fatiguée. C’était peut-être parce que j’ai dû me lever deux fois pour aller aux toilettes.

Aussi rapidement que possible, je pris mon petit déjeuner et sortis de la maison en courant.

– J’ai failli repartir, lança Sylvie avant que je ne la rattrape.

– Je suis désolée, dis-je, d’un ton plutôt ensommeillé.

Chemin faisant, Sylvie prit mes effets afin que je puisse mettre la ceinture à mon uniforme.

– À propos, dit-elle, j’ai remarqué combien tu te sens toujours mal à l’aise pendant le cours d’histoire. As-tu la maladie du sommeil, ou alors est-ce le cours d’histoire qui est trop difficile pour toi ?

Bientôt la cour de l’école se remplit d’élèves tout joyeux, s’interrogeaient les uns les autres sur leurs vacances.

Toutes les fois qu’on me posait la question, je souriais et disais : « Super ! »

Avant notre premier cours, Sylvie me demanda :

– Que fais-tu après les cours ? Voudrais-tu venir chez moi pour quelques minutes ?

– Merci, Sylvie, mais je suis tellement fatiguée ces jours-ci ; je voudrais rentrer directement chez moi pour me reposer.

– Te reposer ? Es-tu sérieuse ?

Embarrassée, je fis oui de la tête, sans rien dire d’autre.

Après l’école, je dis à ma sœur :

– Si quelqu’un m’appelle au téléphone, tu peux me trouver dans ma chambre. Puis j’allai tout droit au lit et m’endormis en écoutant « notre » chanson.

– Céline… Céline, réveille-toi !

J’ouvris les yeux et vis maman qui me secouait.

– Est-ce le téléphone ? demandai-je immédiatement.

Non c’est l’heure de dîner. Alors, viens dormeuse !

Durant toute la semaine, maman dut toujours me réveiller pour le dîner. Puis, elle me grondait de n’avoir pas aidé à préparer le repas.

Ça me gênait de ne pas l’aider, mais j’avais toujours trop sommeil. Je pensais que cela était dû à mon nouvel horaire scolaire qui m’épuisait complètement.

Tous les soirs, pendant que je faisais mes devoirs de maison, je m’empressais de prendre le téléphone chaque fois qu’il sonnait. Je disais toujours un chaleureux « allô » espérant entendre la voix de Ben. Mais c’était toujours la voix de quelqu’un d’autre et mon découragement grandissait.

Dimanche soir c’était le désarroi total. Pourquoi Ben ne m’a-t-il pas appelée ?

Le lundi matin je ne sortis de mon lit que trente minutes avant l’heure à laquelle je rencontrais Sylvie. Je me sentais très fatiguée. C’était peut-être parce que j’ai dû me lever deux fois pour aller aux toilettes.

Aussi rapidement que possible, je pris mon petit déjeuner et sortis de la maison en courant.

– J’ai failli repartir, lança Sylvie avant que je ne la rattrape.

– Je suis désolée, dis-je, d’un ton plutôt ensommeillé.

Chemin faisant, Sylvie prit mes effets afin que je puisse mettre la ceinture à mon uniforme.

– À propos, dit-elle, j’ai remarqué combien tu te sens toujours mal à l’aise pendant le cours d’histoire. As-tu la maladie du sommeil, ou alors est-ce le cours d’histoire qui est trop difficile pour toi ?

 

Je repris mes livres et répondis :

– Non, le problème est que chaque jour, pendant le cours d’histoire, je suis prise d’un malaise et j’ai envie de vomir ! Je ne sais pas pourquoi cela ne m’arrive que pendant ce cours-là. Certes, je déteste l’histoire, mais je n’avais jamais vécu pareille expérience auparavant !

C’est probablement parce que le cours d’histoire a lieu juste avant midi, au moment où mon estomac est vide. Je serais tellement embarrassée si jamais il m’arrivait un jour de vomir en classe !

– L’autre chose que je ne comprends pas, c’est que je ressens les mêmes malaises lorsque j’essaie de manger du poisson. En fait, même lorsqu’on mange du poisson près de moi, je suis obligée de m’éloigner de cette personne. Avant j’aimais toujours manger le poisson… Mais maintenant, rien que d’y penser, j’ai envie de vomir.

 

Sylvie ne fit aucun commentaire sur mes problèmes alimentaires. Elle posa plutôt la question que je n’aurais jamais souhaité qu’elle me pose :

– Ben a-t-il téléphoné ?

– Pas encore, admis-je.

– Je ne supporte pas de voir ce bon-à-rien détruire ainsi ton cœur, dit-elle avec amertume. Je sais comment les garçons procèdent : ils vous promettent l’amour éternel… mais vous oublient l’instant d’après. Je souhaite vivement que tu l’oublies !

Je ne pouvais pas m’imaginer que ma meilleure amie me parlerait ainsi. ]’étais certaine qu’elle était jalouse parce que j’avais passé plus de temps avec Ben qu’avec elle. Je faillis lui adresser des paroles blessantes, mais je ne souhaitais pas du tout nuire à notre amitié. Ni l’une ni l’autre ne parla durant tout le reste du chemin à parcourir.

Après le premier cours, je lui lançai un sourire au moment où je partais suivre le cours de biologie, je compris que nous restions amies lorsque ses yeux s’illuminèrent et qu’elle répondit à mon sourire.

À mi-parcours du cours de biologie, je commençai à m’inquiéter pour ma vessie. Elle était pleine, excessivement pleine !

]’essayais d’écouter M. Sanka, mais le malaise allait grandissant.

– Est-ce que quelqu’un ici présent aime l’école ? demanda à haute voix M. Sanka.

Personne ne leva le doigt.

– Écoutez, vous devez comprendre que l’école est la meilleure voie pour acquérir la formation dont vous avez besoin pour faire face aux exigences du monde moderne. L’avenir n’appartient qu’à ceux qui le préparent !

Je ne pouvais attendre une minute de plus. Je levai le doigt.

– Oui, Céline. Tu comprends l’importance de l’école ?

– Non… enfin, oui… mais je voudrais demander : puis-je sortir ?

  1. Sanka semblait embarrassé et les élèves se retenaient de rire.

– Oui, Céline, tu es excusée. À présent, voyons…

La voix de M. Sanka s’éloignait à mesure que je courais vers les toilettes.

J’ai l’impression que je ne peux pas suivre deux cours sans me rendre aux toilettes. Je pense que je dois y aller avant le début de chaque cours.

Les autres filles commencent à déceler mon problème. Elles font des plaisanteries du genre :

– Céline, que bois-tu ces derniers jours ? Tu passes plus de temps aux toilettes qu’en classe.

– Tu ne réussiras pas en fréquentant ainsi les toilettes.

Même Sylvie a commencé à plaisanter. Je lui dis :

– J’ai des crampes douloureuses, j’espère que mes règles viendront bientôt.

Il est vrai que les crampes font partie intégrante de ma vie de « femme ». Mais aller aux toilettes à chaque heure, c’est nouveau. Mes crampes se font de plus en plus douloureuses.

Pendant la pause, Sylvie et moi nous nous dirigions vers un groupe d’amies.

– Comment va le volley-ball ? me demanda-t-elle.

– Très bien. Notre équipe gagne tous les matchs ! Puis je baissai la voix, tirai Sylvie plus près et chuchotai : Je déteste les jours qui précèdent mes règles.

– Pourquoi ?

– Mes seins me font si mal. Hier pendant le sport, chaque fois que je courai ou que je sautai, ils me faisaient mal au moindre mouvement.

– Tu devrais être contente du fait que tes seins sont assez gros pour remuer, rétorqua-t-elle. Regarde-moi. Ma poitrine est plus semblable à celle de mon père qu’à celle de ma mère.

– Merci beaucoup, repris-je à haute voix, au moment où nous rejoignons nos camarades.

Ce soir-là, je venais juste de me coucher lorsque ma sœur me secoua : « Au téléphone ! » Puis elle ressortit.

Essayant de m’éveiller je marchai lentement vers le téléphone.

– Allô !

– Allô ! chérie. Que se passe-t-il ? On dirait que tu as eu une journée difficile.

– Oui, enfin, non. Je dormais.

– Dormir ! À cette heure de la journée ?

– Ouais ! dis-je en bâillant. C’est très inhabituel. Je me sens toujours si fatiguée.

– Tes professeurs te donnent-ils trop d’exercices ?

– Pas vraiment. Voilà pourquoi je n’y comprends rien.

Je commençai à m’éveiller totalement et demandai :

– Pourquoi n’as-tu pas appelé plus tôt ?

– Chérie, tu sais combien la première semaine de la rentrée est chargée.

– Je suis désolée que ta semaine soit plus importante que moi, fis-je afin qu’il comprenne ma déception.

– Tu sembles plutôt amère aujourd’hui. Qu’est-il arrivé à ma joyeuse et tendre chérie ? interrogea-t-il.

Je souris en entendant sa douce voix. Ben avait cette façon de faire disparaître ma colère et mes craintes !

Puis il poursuivit :

– Maintenant, sois directe. Et l’école ?

– Je pense que tout va bien, sauf la biologie. Je devrais vivre sans elle. Ensuite je dus lui demander : Quand te reverrai-je ?

Il resta silencieux pendant longtemps. Je savais que c’était la question qu’il ne fallait pas lui poser. Finalement, il répondit avec irritation :

– Je ne sais pas…

– J’insistai. Ben, tu me manques… beaucoup.

– D’accord… je t’appellerai mardi. Au revoir.

– Ben, je… mais il avait déjà raccroché. Son attitude me troubla. Je devins plus désespérée que je ne l’étais avant son appel.

Je rejoignis ma chambre et m’assis sur le lit. Pleurer n’était pas la solution, mais je ne pus m’en empêcher.

Le téléphone sonna à nouveau. Je courus le prendre, espérant que c’était Ben qui avait décidé de rappeler.

Allô ! lançai-je de ma meilleure voix.

– Allô, Céline. Qu’est-ce qui te rend si heureuse ?

Ma joie disparut aussitôt et je recommençai à pleurer.

– Qu’est-ce qui ne va as Céline ? La voix de Ruth était pleine d’amour comme toujours.

– Quelqu’un de spécial vient d’appeler…

– Cela devrait te faire plaisir !

– Je le sais. Mais ce n’est pas le cas. Je me sens mal.

– Je suis désolée. Tu peux venir me voir afin qu’on en parle ?

– Non, merci. Ce n’est pas nécessaire. Ne t’en fais pas, ça ira.

– D’accord, Céline. Écoute, j’appelais tout juste pour savoir si tu peux venir garder mon fils ce samedi soir.

– Tu n’es pas fâchée avec moi ?

– Pour quelle raison ?

– À cause de la façon dont j’ai ri quand tu parlais de Jésus.

– Sûrement pas, Céline.

– Je voudrais m’excuser…

– Ce n’est pas nécessaire. Pourras-tu venir ? Mon mari et moi allons dîner au Continental Hôtel.

– Oh, que c’est beau ! Oui, je viendrai volontiers.

– Merci, Céline. Mais tu es sûre que tout va bien ? Sa voix était encore pleine d’inquiétude.

– Oh, je n’en sais rien. Je me sens peu en forme ces derniers temps. Puis je commençai à tout dire. Je dors beaucoup et j’ai des crampes au ventre comme si j’allais avoir mes règles. Je mange plus que d’habitude, mais je n’arrive pas à manger du poisson. Je vais aux toilettes chaque heure et au moins deux fois pendant la nuit. Chaque jour, je me sens mal pendant le cours d’histoire. Je pleure une minute, je ris à la suivante et j’ai des maux de tête.

Pour la première fois, je venais de parler de mes problèmes actuels. Aussitôt, je le regrettais. Pourquoi ai-je raconté tout ceci à Ruth ?

Lorsque je finis, Ruth se tut pendant un très long moment. Cela avait tellement duré que je pensai qu’elle avait peut-être raccroché.

– Allô !… Ruth…

Sa voix était douce lorsqu’elle dit enfin :

– Oh, Céline, je pense que tu es enceinte…

– Pourtant je n’en présente aucun des symptômes. (J’étais choquée !) Quand on est enceinte, on a un gros ventre et on vomit tous les matins. Et mieux, il faut avoir eu des rapports sexuels, rétorquai-je innocemment. Non, je suis certaine que mes règles commenceront demain. Je ne voulais pas lui donner l’occasion de poser d’autres questions, donc très vite, j’ajoutai : Je viendrai le samedi. Au revoir.

Debout en face de ma glace, je soulevai ma robe puis contemplai mon ventre. Vu de face et de profil… rien de différent. Je ne pouvais pas être enceinte.

Pourtant, mes règles dataient de longtemps. À quand remontaient les dernières ? C’était…vers la fin du mois de novembre.

Alors, je commençai à réfléchir : on est en février ! Ça fait huit semaines !

Je sursautai et laissai tomber ma robe. Retenant mes larmes, je répétai doucement ce que Ruth avait dit : « Oh, Céline, je pense que tu es enceinte… »

Chapitre 6

Parfois je déteste la nuit, car les inquiétudes deviennent terrifiantes. Quand j’essaie de dormir, c’est difficile. Je tourne et me retourne comme un poisson hors de l’eau. Alors, j’essaie de rester tranquille, mais mon cœur, lui, ne peut rester tranquille. Finalement, je m’endors et lorsque j’ouvre les yeux, il fait jour ! La lumière du soleil chasse tous mes soucis. Comment pourrais-je être enceinte ? Tout à fait impossible. Si j’étais enceinte, je le saurais.

Durant les deux jours suivants, j’oubliai les craintes et redevins gaie, même si mon organisme continuait de fonctionner de manière inhabituelle.

Je me rappelai que Ben avait promis de me téléphoner le mardi et j’attendais impatiemment d’entendre sa voix. Cette fois-ci, me dis-je, je n’évoquerai pas l’idée qu’il vienne me voir, quoique je mourais d’envie de le lui demander !

Le mardi soir, il téléphona comme promis. Il est fantastique ! Nous parlâmes de nos différents cours. Les émotions m’emmenèrent à dire :

– Tes caresses me manquent, Ben.

– Ouais, ma douce, les tiennes me manquent aussi.

Sa voix était douce et romantique. Mon cœur s’emplit de joie. Comme j’avais envie qu’il me prenne dans ses bras et m’embrasse ! Je restai si longtemps silencieuse qu’il demanda.

– Tu es là, chérie ?

– Oui, mon cœur, répondis-je lentement, je suis toujours là. Mais j’aurais voulu être là-bas.

– C’est pareil pour moi. Il s’arrêta une seconde puis poursuivit : écoute notre chanson et pense à moi ! Compris ? Au revoir.

Après avoir écouté à trois reprises Je ne t’abandonnerai jamais, je me traînai dans la cuisine pour aider à préparer le repas. Maman me regarda, surprise de me voir venir sans être appelée. Néanmoins, elle ne posa aucune question ; moi aussi, je ne dis rien. Je souhaitais que rien ne vienne perturber cette merveilleuse joie. Je chantais tout doucement en mettant la table :

Je t’aime aujourd’hui et je t’aimerai toujours.

Je ne t’abandonnerai jamais.

Ma sœur entra dans la salle à manger et m’entendit chanter. Elle roula les yeux et dit :

– J’en ai marre de cette chanson !

Je souris tout simplement et élevai la voix :

Ne crains rien.

Je ne t’abandonnerai jamais.

Je serai toujours près de toi.

Elle se boucha les oreilles puis ressortit aussitôt de la pièce.

Pendant le dîner, cette chanson continua de résonner dans mon cœur. J’étais heureuse d’être à table avec mes parents, mon frère et ma sœur. Je me réjouis d’écouter chacun parler de sa journée. J’étais sur un nuage. Rien ne pouvait troubler ma joie.

– Ce plat est délicieux, Maman, dis-je avec gaieté en me resservant. Brusquement, tout le monde se tut. Je levai mon regard afin de savoir la raison de ce silence subit. Tout le monde avait les yeux rivés sur moi !

– Pourquoi me regardez-vous ainsi ?

– Nous sommes tout simplement surpris de te voir manger autant, déclara Maman.

– Pourtant je n’exagère pas !

– Mais c’est ta deuxième assiettée !

– Y a-t-il un mal en cela ? Georges remplit toujours son assiette à deux reprises !

– Oui, mais ton frère est un garçon en pleine croissance. Il a donc besoin de manger.

– Si les garçons en pleine croissance peuvent manger autant, pourquoi pas les filles ? interrogeai-je en versant de la sauce sur mon riz.

Papa se manifesta enfin.

– N’en faisons pas toute une histoire ! Céline, nous sommes tout simplement surpris parce que d’habitude, tu ne manges pas beaucoup. Mais ces derniers jours, tu as commencé à manger davantage. C’est tout. Bientôt, il te faudra de nouveaux habits de deux tailles supérieures. Heureusement, ce qui les inquiétait c’était que je ne grossisse pas trop. Ils ne soupçonnaient rien. Cependant, leurs remarques me replongèrent dans mes soucis. En effet, certains de mes habits commençaient à me serrer… pour quelle raison ? Je déposai ma fourchette. Je n’avais plus faim. ]’avais la peur au ventre.

Je pris conscience d’une chose : il me faut absolument vérifier si je suis en- ceinte ou pas. Lentement, j’imaginai un plan.

– Maman, te souviens-tu encore que je dois aller garder l’enfant de Ruth ce samedi soir ?

– Je n’ai pas oublié. Mais rappelle-toi que tu devras nettoyer la maison avant de partir.

– Serait-il possible que je fasse le nettoyage après le déjeuner ? J’aimerais passer la matinée… à étudier… à la bibliothèque.

– Pas de problèmes, Céline. Seulement, sois à la maison à midi pile. J’acquiesçais de la tête puis commençai à débarrasser la table. Tout le reste de la semaine, j’eus la peur au ventre de jour comme de nuit. Finalement, le samedi arriva. En me rendant à la bibliothèque, j’espérais ardemment y trouver la solution à mon problème. Immédiatement, je fonçai sur les étagères où se trouvaient les livres de biologie. Avant de chercher les livres traitant de grossesse, je regardai autour de moi pour être certaine que personne ne prêtait attention à moi.

– Puis-je vous aider ? me demanda quelqu’un à l’arrière. C’était la bibliothécaire. Je me demandai si elle entendait mon cœur battre lorsque je dis, en indiquant l’étagère des livres de botanique :

– Oh… non, merci… j’ai trouvé ce que cherchais.

Elle acquiesça et repartit. ]’attendis qu’elle rejoignît son bureau – puis poursuivis mes recherches. 

Le premier livre que je descendis de l’étagère était large et portait le titre : « La grossesse ». J’ouvris le chapitre sur les symptômes, mais les seuls signes qui y étaient mentionnés étaient « l’augmentation de la quantité de sang » et « l’humection de l’utérus ».

N’importe quoi ! Trop scientifique. Je me moque de ma quantité de sang et de mon utérus. Je veux savoir si je suis enceinte. Le second était tout aussi grand. Un chapitre me paraissait prometteur : « Êtes-vous enceinte ? »

Pendant que je lisais, les gens passaient et il me fallait cacher le livre dans mon pull-over. Ce livre, lui aussi, était plein de grands mots que je ne comprenais pas. Après deux heures de recherche, je décidai de laisser tomber. Il doit y avoir une autre façon de trouver la solution. Ce jour-là, Maman était fière de la façon dont j’avais nettoyé la maison. J’avais travaillé dur et rapidement, essayant de ne pas penser à cet affreux problème.

Plus tard, ce dernier me suivit jusque chez Ruth. Elle me salua en souriant ; l’amour et la sollicitude se lisaient dans son regard. Sans qu’on eût abordé la question, je sus qu’elle savait de quoi il s’agissait.

Lorsqu’elle et Simon sortirent, elle me regarda et dit :

– Après avoir fait coucher Joël, tu peux fouiller dans mes livres. Peut-être que tu y trouveras quelque chose d’intéressant. On se comprit par le regard.

– Merci, dis-je, reconnaissante.   

Je fis coucher Joël plus tôt que d’habitude, puis fonçai directement vers l’étagère où étaient rangés les livres. Deux titres attirèrent mon attention. Je les sortis et commençai à les parcourir.

Aucun ne m’apporta satisfaction. Envahie par le découragement, je les rangeai. Tous les deux ne mentionnaient que les malaises du matin et la constipation. Je ne présente pas ces symptômes.

Alors, qu’en est-il de moi ? Suis-je enceinte ?

Hésitante, je regardai à nouveau sur l’étagère. Encore un autre : La santé familiale capta mon regard. Je m’en emparai, puis l’ouvris à la table des matières. Ah ! voilà ! La grossesse…

Je résolus de lire tout ce chapitre mot pour mot même si cela devrait me prendre toute la soirée.

Après l’avoir lu je fus surprise d’apprendre qu’il est fort probable qu’une femme tombe enceinte si elle a des rapports sexuels à deux semaines de ses prochaines règles.

Mes amis m’avaient dit qu’à mi-parcours du cycle, il n’y a pas de « risques » de grossesse. Cela prouve qu’ils sont totalement ignorants à ce sujet ! Vers la fin du chapitre, je finis par trouver l’aide dont j’avais besoin. Il est écrit : « Le test de grossesse est gratuit dans tous les Centres de Planning Familial. »

Parfait ! J’y suis. C’est exactement ce que je cherchais ! Je me saisis de l’annuaire téléphonique de Ruth et fouillai. « C’est là ! Centre de Planning familial », m’exclamai-je.

Je relevai le numéro de téléphone sur un bout de papier et le glissai dans ma poche. Lorsque je lus l’adresse, grande fut ma surprise de découvrir que le centre se trouvait dans la même rue que la bibliothèque. Je suis certainement passée plusieurs fois à côté, mais je ne me souviens pas l’avoir déjà vu.

Lorsque Ruth me conduisit à la maison, nous parlions à peine. Quand elle freina devant chez moi, elle dit, les yeux remplis d’affection :

– Céline, quoiqu’il arrive, je serai toujours ton amie. Je regardais ailleurs tandis qu’elle poursuivait :

– Sache que Jésus espère que tu l’accepteras comme ton ami.

– Merci ! rétorquai-je, comme si je savais de quoi elle parlait. Au revoir !

Le lundi matin s’écoula lentement. J’avais perdu le sourire. J’étais désolée pour Sylvie. Elle essayait de m’encourager, mais le plus souvent, je n’entendais même pas ce qu’elle disait. J’acquiesçais toujours de la tête comme pour lui faire croire que je l’écoutais.

Après les cours, je marchai longtemps avant de trouver une cabine téléphonique isolée. Je sortis le numéro et toute tremblante, introduisis une pièce de monnaie. J’attendis.

– Centre de Planning Familial, bonjour, m’annonça une douce voix féminine.

– Allô, je… euh… voudrais me renseigner à propos du test de grossesse.

Du même ton, elle dit :   

– Volontiers. Pouvez-vous venir demain matin à 8 heures 30 ?

– Oui.

– Vous apporterez un peu de votre urine du matin.

– Oh… où vais-je la mettre ?

– Prenez une petite bouteille propre. Alors, on vous attend demain matin ? – Oui. Au revoir. La peur m’étreignait de plus en plus pendant que je rentrais à contrecœur à la maison. 

Chapitre 7

Maman ne jette jamais les bouteilles. Je fouillai sous l’évier de la cuisine et sortis une petite bouteille d’eau minérale. Au moment où personne ne prêtait attention, je la lavai soigneusement puis la rangeai dans le tiroir où se trouvaient mes sous-vêtements.

Le lendemain, je me réveillai tôt et allai discrètement recueillir l’urine dans la bouteille.

Je n’avais pas réfléchi à la façon dont j’allais la transporter à la clinique. En tout cas pas dans mon sac d’école ; ça pourrait se renverser. On sait que l’urine ne sent pas particulièrement bon ! Finalement, je la mis dans un double sachet en plastique, puis le tout dans un papier brun.

Avant le départ de ma mère pour le travail, j’allai vers elle, mon visage tendu comme si j’étais vraiment malade.

– Maman, j’ai des douleurs au ventre, ce sont mes règles, lui mentis-je.

Je ne crois pas pouvoir arriver à l’école à l’heure. Pourrais-tu faire parvenir une excuse à l’école par Eunice ?

Elle me regarda.

– D’accord, c’est compris. Puis, elle ouvrit son sac à main et me tendit deux comprimés. Prends ceci, si d’ici peu, tu ne te sens pas mieux.  

 – Merci ! dis-je d’une petite voix. Au revoir.

Lentement, je retournai me mettre au lit, au cas où elle voudrait éventuellement vérifier quelque chose à mon sujet avant de s’en aller.

Dès que je l’entendis sortir, je sautai du lit, prit une douche puis m’habillai. Comme toujours, ma radio était en marche et brusquement, une chanson qui m’était familière envahit la chambre :

Je ne t’abandonnerai jamais. 

Je serai toujours près de toi.

Ça me fendait le cœur. Je me précipitai sur la radio et l’éteignis comme si elle était en train de répandre du poison dans la chambre.

Le paquet brun en main, je pris la direction de la ville. Arrivée là où j’espérais trouver la clinique, une affiche indiquait : « Centre de Planning familial ». C’est situé dans un passage entre deux immeubles. Alors, je compris pourquoi je n’avais jamais remarqué le Centre auparavant.

Je trouvai l’entrée après m’être engagée dans le passage. Tout anxieuse, j’entrai.

Deux des chaises étaient occupées par deux filles qui avaient sensiblement mon âge ; elles avaient triste mine.

La secrétaire releva mon nom et me dit :

– Veuillez attendre quelques minutes. Asseyez-vous là-bas, m’indiqua-t-elle.

Je la remerciai, puis allai prendre place à une certaine distance des autres filles. Une fois assise, je pris soin de déposer calmement mon paquet brun par terre tout en souhaitant que personne ne le remarque.

Lorsque je regardai la fille qui se trouvait à ma droite, je remarquai qu’elle était très belle et bien vêtue. Elle aussi semblait effrayée. Elle avait les jambes croisées et balançait nerveusement son pied.

J’avais chaud et, à l’aide d’une revue, je me faisais de l’air. Ensuite je jetai un bref regard sur la fille qui se trouvait à ma gauche.

Elle avait les yeux rivés au sol ; toute grelottante, elle s’enveloppait dans son pull-over. Comment peut-on avoir froid dans une salle où il fait si chaud ? Pendant que je me faisais plus d’air, je me rendis compte que je remuais, moi aussi, ma jambe avec anxiété.

Une dame en uniforme bleu sortit d’une salle et appela quelqu’un. La demoiselle à ma droite prit le sachet brun qu’elle avait à côté d’elle et sortit calmement tête baissée.

Après environ dix minutes, la même fille revint. Quel contraste ! En lieu et place de la tristesse, elle avait retrouvé un large sourire et quitta la salle à pas légers.

La dame en uniforme bleu appela un autre nom. La fille qui avait froid sursauta comme piquée par une guêpe. A la voir marcher, après avoir pris son sachet brun, je pensai qu’elle craignait plus que la précédente. Pendant que j’attendais, la porte d’entrée s’ouvrit. Deux dames entrèrent ; la secrétaire leur demanda de prendre place. Elles s’assirent côte à côte en chuchotant ; elles me jetaient des regards furtifs, peut-être me trouvaient-elles trop jeune.

À nouveau, la porte intérieure s’ouvrit. Cette fois, c’était une autre dame en bleu qui vint dans la salle d’attente. Elle était belle et assez jeune. Elle consulta son papier et dit : Céline.

Je ramassai mon sachet et essayai d’avancer d’un pas assuré. Pendant que je la suivais dans le couloir, nous rencontrâmes l’autre fille – celle qui avait froid. Elle avait les larmes aux yeux et entrait dans une salle dénommée : « Consultations ».

Une fois dans le bureau, la belle dame me sourit amicalement et dit :

– Enchantée, Céline. Je me nomme Marthe. As-tu apporté quelque chose ? Je fis oui de la tête et lui tendis mon sachet. Une fois encore, elle sourit et dit :

– Bien, asseyons-nous.

Le bureau de Marthe était petit, mais bien tenu. Elle s’assit sur une chaise en métal gris et m’installa sur une chaise en plastique bleu juste en face d’elle. Puis elle prit un stylo et du papier en disant :

– Écoute, Céline avant de faire le test, je dois te poser certaines questions. Tout ce que tu diras dans ce bureau restera confidentiel entre toi et moi. Donc, n’aie pas peur de parler, sois sincère. C’est compris ?

Je fis encore oui de la tête, réalisant que je n’avais pas encore dit un seul mot.

– Quel âge as-tu ?

– Seize ans.   

– As-tu déjà été enceinte ?

– Non !

– A quand remontent tes dernières règles ?

– Je réfléchis un instant. Vers le 28 novembre.

– Utilisais-tu une méthode contraceptive ?

– Non… en tout cas, pas la première fois. C’est après la première relation, qu’il a commencé à utiliser les préservatifs.

Après avoir pris quelques notes, elle posa un regard inquisiteur sur moi.

– Céline, pourquoi as-tu eu cette première relation sans avoir observé de méthode contraceptive ?

Je n’avais jamais cru pouvoir parler de ma vie sexuelle à quelqu’un. Je n’en avais jamais parlé ; même pas avec Sylvie. Cette dame parlait du sexe aussi aisément qu’on parle du temps qu’il fait. Je respirai à fond et les mots jaillirent tout seuls.

– Mon cycle est si irrégulier qu’il m’arrive souvent de ne pas avoir mes règles pendant deux ou trois mois successifs. Aussi je croyais qu’il me serait difficile de tomber enceinte… en tout cas pas la première fois. Ensuite il a commencé à utiliser les préservatifs… les préservatifs ne protègent-ils pas des grossesses ?

– Céline, ma fille, à ton âge, chaque fille peut tomber enceinte dès son premier rapport sexuel. Même si elle a un cycle irrégulier, elle peut tomber enceinte. En fait, même une fille qui n’a jamais eu de règles peut tomber en grossesse.

Elle se tut un instant, certainement pour me laisser le temps de réfléchir à ce qu’elle avait déjà dit. Puis, elle reprit :

– En ce qui concerne les préservatifs, ils aident à éviter les grossesses. Ton petit ami aurait dû en utiliser dès vos premiers rapports et toujours continuer d’en utiliser. Cependant, il arrive souvent qu’une fille tombe enceinte malgré le fait que son copain utilise les préservatifs.

Je voulais demander comment cela était possible, mais j’évitais de parler de ces choses-là.

Marthe se renversa sur sa chaise, puis me fixa.

– Une étudiante ne devrait pas avoir besoin de contraceptifs. Les étudiantes devraient tout simplement dire « NON » aux relations sexuelles… Il n’y a aucune méthode contraceptive qui soit sûre à 100%, certaines le sont à plus de 90%. En général, sans contraceptif, les filles contractent des grossesses aussitôt qu’elles commencent à avoir des relations sexuelles…

Je dirigeai mon regard vers mes pieds et je dis tout doucement :

– Je n’aurai plus de rapports sexuels jusqu’à ce que je me marie.

– C’est bien ! Si tu respectes cette décision, ça t’évitera beaucoup de problèmes…

– A présent, allons-y pour le test, dit-elle, en dirigeant ses yeux sur mon sachet.   

J’acquiesçai en la regardant chercher le petit récipient blanc sur l’étagère, juste derrière elle. Elle en sortit une éprouvette et deux petites bouteilles. Lorsqu’elle défit mon paquet, les deux sachets en plastique et la bouteille d’eau minérale la firent sourire. Elle ne préleva que cinq gouttes de mon urine.

– C’est tout ce que vous prenez ? demandai-je.

– C’est tout. J’étais embarrassée. J’avais rempli entièrement la bouteille et voilà qu’elle n’en prend que si peu. Une fois l’urine dans l’éprouvette, elle y ajouta une goutte verte qui provenait de l’une de ses petites bouteilles. A l’aide d’une petite cuillère, elle mélangea les deux liquides en regardant sa montre.

Après une minute, elle y ajouta une goutte d’un liquide blanc-lacté. Elle regarda encore sa montre.

– Que va-t-il se passer ? murmurai-je.

– Il y a toujours l’hormone HCG dans les urines des femmes enceintes. Si cette hormone est présente dans ton urine, ce mélange restera blanc ; ce qui prouvera que tu es enceinte. Dans le cas contraire, le mélange prendra la couleur rouge.

– Combien de temps attend-on ?

– Encore une minute. Je me frottais les mains moites l’une contre l’autre pendant que nous regardions la pendule.

Quand la minute passa, je levai les yeux vers Marthe. J’étais effrayée à l’idée de regarder l’éprouvette.

– Céline ! fit-elle en tenant le tube à la lumière, tu es effectivement enceinte.   

Je retins mon souffle et regardai. Le mélange était blanc. Pas la moindre trace de rouge.

La voix de Marthe était douce et bienveillante.

– Céline, il est extrêmement important que tu informes immédiatement tes parents. Y as-tu pensé ?

– Non… en fait, je n’ai jamais pensé que je pouvais réellement être… (Je la regardais désespérément.)

– Je comprends, répondit-elle avec tristesse. Je vois ça tous les jours. Aucune fille ne pense que ça peut lui arriver. Quoique nous venions de le prouver, il te sera difficile d’admettre que tu es enceinte. Mais écoute, Céline : tu es enceinte.

Elle se tut un moment, espérant que je dirai quelque chose. Mais, que dire ? Ma plus profonde crainte venait d’être confirmée par son éprouvette.

Marthe croisa ses bras sur la table. Elle me regarda très sérieusement et dit :

– Céline, ne pense surtout pas à avorter. Tu ne désires pas tuer ton enfant ! J’essayais d’écouter ce qu’elle me disait, mais il m’était impossible de me concentrer sur quoi que ce soit. C’était comme si j’étais en train de faire un cauchemar. Oh, si seulement je pouvais me réveiller et réaliser que cette histoire de grossesse n’était qu’un mauvais rêve.

Marthe se leva et m’accompagna jusqu’à la porte.

Dehors, la lumière du soleil m’éblouit. Je me précipitai à la maison afin de mettre rapidement mon uniforme scolaire.

Pour finir, j’arrivai à l’école au milieu de la 5ème heure et dus supporter tous les regards sur moi en entrant dans le labo de biologie. Le regard irrité, M. Sanka me fit signe de m’asseoir à ma place.

Je passai la journée comme si j’étais dans un autre monde. Le soleil brillait et il faisait chaud, mais moi, j’avais froid.

Cette nuit-là, je me laissai tomber dans mon lit, puis je laissai couler mes larmes, ces larmes que j’avais retenues durant toute la journée.

Je voulais dormir, et ça m’était égal si je ne me réveillais plus.

Chapitre 8

Je restai dans mon lit, souhaitant éviter d’affronter la vérité. Je ne veux pas de grossesse. Je ne veux pas d’un enfant qui viendrait ruiner ma vie et mon avenir.

Il faut que je parle à Ben.

Mais malheureusement, chaque fois que je décroche le téléphone, mon cœur se met à battre tellement fort que je n’arrive pas à parler. Même si j’arrivais à parler, que dirais-je ? Je ne sais pas comment le dire à Ben.

Donc j’attends qu’il m’appelle. Pendant que j’attends, je cherche différentes façons de lui annoncer gentiment qu’il est père.

Pour moi, il trouvera la meilleure solution. Seulement, je ne saurai l’imaginer.

Je suis prêt à accepter tout ce qu’il me proposera. Je veux vraiment lui plaire.

Je suis certaine qu’il empruntera le bus pour venir me voir. Qu’il m’embrassera et dira que je n’ai rien à craindre parce qu’il m’aime. Puis, ensemble, nous informerons mes parents.

Enfin, après quatre jours de longue attente…

– Allô, chérie. La vie est belle ?

– Pourquoi n’as-tu pas appelé plus tôt ? Ça fait presque une semaine !

Je fus surprise de l’amertume de ma voix. À cause des longs jours de peur et d’inquiétude, je ne pus être aussi gentille que je l’aurais souhaité.

– Désolé, chérie ! dit-il d’une voix légère. J’étais occupé à prendre des décisions concernant mon avenir. Entendu que c’est ma dernière année de lycée, il me fallait arrêter une décision… pour quelle université postuler, ou bien faut-il me préparer pour l’équipe de football. Des choses de ce genre.

Tout en m’efforçant de dissiper la colère dans ma voix, je l’informai.

– Tu as encore une autre décision à prendre concernant…

– De quoi s’agit-il ?

À cet instant, la colère fit place aux larmes. De chaudes larmes coulaient sur mes joues.

– Ben, me suis-je mise à sangloter. Oh, Ben…

– Sèche tes larmes et dis-moi de quoi il s’agit. Tu sais qu’un tel appel coute cher !

Il était impatient. Où était passée la compassion que j’espérais ?

Je réessayai.

– Ben… je suis… je suis enceinte.

Un silence. Puis :

– Tu es comment ?

– Tu as bien entendu, lui répondis-je avec douceur.

– Malheureusement ! Sa voix était blessante et pleine de colère.

– Que décidés-tu ? interrogeai-je.

– Écoute, Céline, ne me pose pas cette question. Ça, c’est ton affaire ! Ça ne me regarde pas ! Moi je ne suis pas enceinte, c’est toi qui l’es ! D’ailleurs qu’est-ce qui me prouve que cette grossesse est de moi ? Aucune parole n’aurait pu me blesser davantage.

– C’est toi, dis-je le plus calmement possible. Ça fait environ deux mois.

Je faillis fondre en larmes, mais me retins.

Ben devint tendre.

– Je suis désolé, chérie. J’en suis évidemment l’auteur. Tu m’as pris de cours. C’est tout.

Je décidai de reposer ma question, espérant désespérément qu’il me réponde.

– Alors, Ben que faire ?

– Il n’y a qu’une seule chose à faire : s’en débarrasser !

– Tu veux dire avorter ?

– Oui, bien sûr !

– Ben. Je ne peux pas accepter l’idée d’avorter. L’année dernière, une fille que je connais s’est fait avorter. J’étais si furieuse contre elle… que je ne lui ai plus parlé. J’avais envie de la gifler avant de lui demander : Annette, comment peux-tu faire une chose pareille et donner la mort à ton bébé ?

– Écoute, Céline, tu n’as pas d’autre choix. Nous ne voulons pas de cet enfant.

Cette phrase me déchira le cœur. Avec tristesse, je répondis :

– D’accord Ben, si c’est ce que tu veux. Mais as-tu pensé à ce que nos parents diront, du moins, s’ils l’apprennent ?

– Qui le leur dira ? Ils ne le sauront jamais. Cette fille dont tu parlais… quel est son nom… Annette… elle peut t’aider.

Il était glacial et impersonnel. Je me sentis poussée à lui demander :

– Ben, est-ce que tu m’aimes ?

– Quelle question stupide ! répondit-il brutalement. Bien sûr que je t’aime. – Tu viendras bientôt me voir ?

– Je verrai.

– Tu ne sembles pas le promettre.

– Comment pourrais-je le promettre ? Parcourir une telle distance n’est pas chose facile. On est encore à deux mois d’un long week-end. Ça, tu le sais.

– Oui, je le sais, Ben. Mais, j’ai vraiment besoin de toi.

– Écoute, je raccroche. Au revoir.

Je n’avais ni les mots ni la force de m’y opposer. Je raccrochai et rejoignis ma chambre. Là, je m’affalai sur ma chaise et fixai le sol. Je ne pus même pas pleurer, tellement j’étais embrouillée.

Chapitre 9

Vendredi, je m’efforçai de parler avec Annette. Bien qu’étant de la même équipe de volley-ball, on ne se connaissait pas bien. Elle est de deux ans mon aînée et a une classe d’avance sur moi.

On venait de terminer l’entraînement du soir ; la plupart des filles étaient allées se changer. Je m’approchai d’elle et chuchotai :

– Annette, j’ai besoin de ton aide. As-tu le temps ? Enfin, pourrais-tu venir dans ma classe afin qu’on puisse parler ? Il n’y aura personne à cette heure-ci.

Elle a dû remarquer que j’avais peur. Elle baissa la voix puis dit :

– D’accord, Céline. Que se passe-t-il ?

Je ne répondis pas tant qu’il y avait des oreilles pour nous entendre.

– Je suis dans le pétrin, Annette. J’espère que tu peux m’aider. Ma voix tremblait encore.

Nous entrâmes dans la salle, puis nous assîmes sur des bancs du fond, loin des fenêtres. Annette est tellement élancée et ses hanches sont si développées que les bancs de l’école paraissaient trop petits pour elle.

Le regard dirigé vers le sol, je lâchai ces terribles mots :

– Annette, je dois avorter.

– Ça fait combien de mois ? demanda-t-elle calmement.

– Environ deux.

– Ton petit ami le sait-il ?

– Oui.

– Qu’en dit-il ?

– C’est lui qui a proposé l’idée de l’avortement.

– Évidemment. C’est toujours eux.

Sa façon de parler de Ben me déplut.

– Il m’aime et souhaite ce qu’il y a de mieux pour moi, répliquai-je vivement.

– Tu crois ? plaisanta Annette. S’il t’aime tant, pourquoi n’assume-t-il pas la grossesse ? Pourquoi ne t’épouse-t-il pas ?

– Oh, comment peut-elle rire de ces choses ? Je voulais défendre Ben, mais je n’arrivais pas à trouver des réponses convaincantes.

– Écoute fit-elle en me prenant la main, je ne cherche pas à dénigrer ton homme. Il peut être différent de celui qui m’avait enceinté. Ce qui me surprend, c’est que l’idée ne vienne pas de toi. Je veux dire : pourquoi n’est- ce-pas toi qui y as pensé la première ?

– Moi ?… Je n’ai jamais aimé l’idée d’avorter.

– Alors, pourquoi veux-tu le faire ?

– Parce que… repris-je doucement, mon copain me le demande.

Soudain des millions d’idées se bousculèrent dans mon esprit. Est-ce que je veux vraiment avorter ? De qui vient cette idée d’avortement ?   

Bien sûr, elle vient de Ben… pas de moi. Je n’avais arrêté aucune idée… maintenant, je ne peux plus réfléchir… mes idées sont trop confuses. Annette me regardait avec tristesse, comme si elle se souvenait de ses mêmes moments.

– Le lundi, je pourrai t’apporter le médicament qu’il te faut, dit-elle gentiment.

– Combien devrai-je payer ? demandai-je. Juste pour mettre fin au débat et puis rentrer à la maison.

– Ça coûte cher, mais je sais où trouver cela à bon prix. Téléphone-moi le dimanche soir, je te dirai le prix.

Elle prit un stylo et un bout de papier sur la table où elle était assise puis nota son numéro. Quand elle me le remit, elle ajouta :

– Sois sans crainte, je n’en parlerai à personne. Toi non plus, n’en parle à personne !

– Merci de ton aide, murmurai-je, en m’efforçant de sourire.

Lorsque je rentrais à la maison, le soleil brillait encore, mais sa chaleur ne pouvait atteindre mon estomac qui bouillonnait. J’essuyai mes yeux et marchai la tête baissée pour que les gens ne voient pas mon visage. Oh, comme je souhaitais mourir avant lundi ! ! !   

Pourquoi Maman et Papa avaient-ils justement choisi ce dimanche-là pour qu’on aille à l’église ? Je hais l’église. Personne ne m’aime dans cette église. Et la prédication ne m’apporte rien. Tout ce qui me reste à faire, c’est de penser à autre chose ! Alors qu’aujourd’hui, je ne veux pas penser à quoi que ce soit ! J’en ai tellement marre de ces pensées qui ne cessent de me harceler.

Puis-je vraiment le faire ? Puis-je tuer mon enfant ?

– Mais il le faut. Je ne peux pas dire à mes parents que je suis enceinte ! Quels seront les effets du médicament sur mon corps ? Vais-je ressentir des douleurs ? Quels en seront les effets sur mon bébé ?

Ressentira-t-il des douleurs ? Se sentira-t-il mourir ?

Je ne dois en parler à personne. Personne ne doit le savoir – même pas Sylvie. Sauf Ben.

Et Ruth ? Non, je ne dois pas le lui dire ! Mieux vaut qu’elle croie qu’elle s’était trompée en disant que je porte une grossesse.

Au moment où je pensais à Ruth, je vis soudain une femme assise à ma gauche. Un petit garçon dormait dans ses bras. Il avait à peu près l’âge du petit Joël de Ruth. Qu’il avait l’air paisible ! Quel bonheur pour une mère d’avoir un enfant !

Alors, pourrai-je tuer le mien ?

Qui sait si après mon mariage je pourrai encore prendre une grossesse ? Qui sait… Celui-ci est peut-être l’unique enfant de ma vie !

Oh, je ne peux pas faire ça ! Tout simplement, je ne peux pas ! Mais, quelle autre possibilité ai-je ? Je suis tellement embrouillée ! Vers qui me tourner ? J’ai besoin de Ben ! Oh, j’ai tellement besoin de Ben ! ! !

Chapitre 10

– N’y pense plus, Céline, n’y pense plus. Entre toi et moi, c’est fini !

– Mais Ben ! … suppliai-je en larmes.

– Dis-moi, Céline, je veux en avoir le cœur net. Veux-tu dire que tu as téléphoné à Annette pour lui dire que tu ne veux plus te faire avorter ?

– Oui Ben, mais écoute-moi, je…

– Écoute bébé. Je t’ai demandé de faire un avortement. Si tu ne veux pas faire ce que je dis, c’en est fini entre nous.

– Mais Ben, je t’aime. Et je pensais que tu m’aimais.

– Je pensais que je t’aimais. Tu pensais que tu m’aimais. On s’est trompés. C’est tout.

– Ben, j’ai besoin de ton aide.

– D’accord, je t’enverrai de l’argent.

– Pas seulement ça, Ben. J’ai besoin de toi. 

– Je t’ai déjà dit non ! J’en ai marre. Je ne veux pas avoir de problème. Mais toi tu en constitues un de bien grand pour moi.

– Et moi donc Ben ? lançai-je avec colère. Penses-tu que je n’ai pas de problèmes ? N’est-ce pas toi qui m’as mis dans ces difficultés ?

– Écoute, bébé, tes problèmes ne me regardent pas. D’ailleurs oublie ma déclaration selon laquelle je suis le père de ton enfant. Je le déclare dès aujourd’hui : je ne sais pas qui est le père. Donc je ne veux plus rien entendre à ton sujet. Compris ?

– Non, je n’ai pas compris ! Et tu auras de mes nouvelles ! Au revoir ! Je raccrochai aussi violemment que possible pour être certaine qu’il comprendrait que j’étais en colère.

J’étais absolument choquée et confuse.

– O Dieu ! criai-je en levant les yeux vers le plafond, si tu existes vraiment, pourquoi ne me viens-tu pas en aide ? Pourquoi faut-il que ma vie soit un tel gâchis ?

Lorsque finalement mes larmes cessèrent, je me sentais comme un lion pris au piège. J’étais agitée, je n’en pouvais plus. Il me fallait absolument parler à quelqu’un… quelqu’un qui m’aimait réellement.

Je décrochai le combiné puis composai le numéro de Ruth : Dring… Dring… Dring… Pas de réponse. Je composai un autre numéro.

– Allô ! Sylvie, c’est moi. Tu peux m’accorder une minute ?

– Bien sûr, Céline. Qu’y a-t-il ?

– Sylvie, il faut que je te parle… Je recommençai à pleurer.

– Céline, qu’est-ce qu’il y a ? interrogea-t-elle doucement.

– C’est…Ben, il vient de me téléphoner pour me dire de l’oublier… À cause des pleurs, mes mots venaient difficilement. Sylvie garda le silence un moment.

– Céline, cela n’est peut-être pas une mauvaise chose. Je veux dire que c’est peut-être mieux pour toi ainsi.

– Qu’entends-tu par-là ? m’exclamai-je. Tu es une drôle d’amie !

– Je suis désolée, Céline. Ce que je veux dire… j’ai toujours pensé que Ben n’était pas l’homme qu’il te faut.

– Je t’en prie, Sylvie, ne dis pas ça. Tu n’en sais rien… Mais me promets-tu de n’en parler à personne ?

– Tu sais bien que je n’ai jamais divulgué nos secrets.

– Écoute, Sylvie. Je suis… enceinte ! Le père, c’est Ben. Je l’entendis reprendre son souffle. Finalement, elle demanda :

– Ben, le sait-il ?

– Oui, il a dit qu’il ne veut plus jamais entendre parler de moi.

– Oh ! Sylvie ne savait que dire. Elle se tut un long moment et puis, rapidement, elle dit :

– Céline, ma mère veut que je l’aide à préparer le dîner. Je te rappelle plus tard, d’accord ?

– C’est ainsi qu’elle m’a laissée… Où sont passées mes amies au moment où j’ai besoin d’elles ? Vers qui me tourner à présent ? Qui peut m’aider à tenir le coup ? Fonçant vers ma chambre, je claquai la porte derrière moi, puis me jetai sur le lit cachant mon visage dans le drap.

]’entendis le téléphone sonner, mais je ne bougeai pas. Je n’avais envie de parler à personne. Peu après, ma sœur tapa à ma porte en disant :

– Ruth au téléphone !

– Je ne veux pas lui parler.

– Alors, je lui dis quoi ?

– Peu m’importe !

Aussitôt… je changeai d’idée. Je courus saisir le combiné juste avant elle.

– Allô, Ruth ! (Je souris à ma sœur tout juste pour m’excuser.)

– Salut Céline, lança Ruth joyeusement. ]’appelle pour savoir comment tu vas.

Je ne voulais pas qu’elle me pose des questions ; je lui en posai donc une :

– Pourquoi ne puis pas vivre comme toi ?

– Que veux-tu dire Céline ?

– Je veux dire, pourquoi ne craques-tu pas lorsqu’il t’arrive des choses affreuses ?

Ruth rit.

– Pourtant tu m’as vu pleurer à plusieurs reprises, Céline.

– Certes, mais tes larmes sont différentes des miennes. Tu parles souvent des bonnes choses qui résultent des difficultés. Même quand tu pleures, tu gardes l’espoir.

– Il y a quelques années, je n’étais jamais très optimiste.

– Qu’est-ce qui t’a donc fait changer ? lui demandai-je, espérant trouver la solution à mes problèmes.

– C’est Jésus. Avec Jésus dans ma vie, mes problèmes ne sont pas tous résolus, mais il me donne l’espoir et…

– Oh, arrête ! Pourquoi ne peux-tu pas parler sans prononcer son nom ? (Mes paroles étaient amères, mais je ne les regrettais pas.)

– Je ne peux cesser de parler de Jésus. Il est mon meilleur ami !

– Si ton Jésus est si merveilleux, pourquoi suis-je enceinte ?

Je fermai mes yeux, regrettant d’avoir parlé. Pourquoi le lui ai-je dit ? Je ne voulais pas qu’elle le sache. Elle est si bonne… désormais, elle me prendra pour une affreuse pécheresse et ne voudra plus être mon amie.

Puis la voix aimante de Ruth me procura une chaleur que je n’avais plus ressentie depuis des jours.

– Je suis désolée que tu aies des problèmes, Céline, déclara-t-elle avec sincérité. As-tu déjà informé ta mère ?

– Non !

– Tu devrais l’en informer au plus vite.

– Pourquoi ? Qu’y peut-elle ? demandai-je d’une voix amère.

– Une mère peut offrir une aide précieuse en une telle situation.

– Je n’ai pas besoin d’aide, fis-je, feignant d’être sereine.

– Tu crois ? sa voix était toujours pleine de tendresse ; pourquoi ne viendrais-tu pas me voir tout de suite ? On pourrait mieux se parler en tête à tête.

Je n’avais pas la force d’adresser la parole à qui que ce soit. Je voulais seulement rejoindre mon lit afin d’oublier ce cauchemar.

– Ce sera peut-être un autre jour. Je ne me sens pas du tout…

– D’accord Céline. Seulement, souviens-toi que je suis toujours prête, à t’aider, t écouter ou à faire tout ce dont tu as besoin !

– Merci, dis-je avec sincérité.

– En plus je vais prier pour toi, Céline, poursuivit-elle.

Je me demandai : à quoi cela va-t-il servir ? Cependant, lorsque je pensai qu’il existe peut-être réellement un Dieu qui se soucie de mon cœur brisé, je me sentis quelque peu réconfortée.

– D’accord, au revoir.

J’allai dans ma chambre, m’assis sur le lit puis m’efforçai, malgré le trouble, de réfléchir. Oui, il faut que je le dise à maman dès que possible. Cela va lui faire mal. Mais il faut que je lui raconte tout afin qu’elle-même informe Papa. Je ne pourrais jamais le lui dire moi-même.

Malheureusement, il n’existe aucun livre intitulé : Comment dire à votre mère que vous êtes enceinte…

J’éprouve toujours des difficultés à parler à Maman. Elle a tellement à faire. Quand elle n’est pas à son travail, elle est soit à la cuisine, soit en train de faire le nettoyage. Chaque fois que je la rejoins, elle me renvoie nettoyer une autre pièce.

Plusieurs jours passèrent tandis que je cherchais la bonne occasion et les mots qui conviennent. Finalement, je compris que je ne pourrais plus attendre davantage. J’avais accumulé tant de pression que j’étais obligée de le lui dire sans quoi j’allais exploser comme un ballon gonflé à l’excès.

Maman avait noué un bandeau rouge autour de la tête, comme chaque fois qu’elle faisait le ménage. Lorsqu’elle entra dans le salon, je remarquai que son esprit était porté sur la liste de toutes les choses à faire. Je m’avançai vers elle.

– Maman, je veux te parler. C’est important.

– D’accord, Céline, dit-elle, en me tendant le plumeau. Nous prendrons du thé ensemble après avoir fini le ménage. Va épousseter les chambres tandis que je balaierai ici. Je n’oublierai pas le thé.

Gentiment, elle me poussa de côté pendant que je dis d’un air déçu :

– OK, Maman !

Je le savais : le temps de finir de nettoyer la maison, il serait l’heure de faire la cuisine. Et après le diner Maman et Papa iraient rentre visite au frère de Papa…

Ce soir-là, j’avais fini mes devoirs de maison et attendais leur retour. Lorsqu’ils arrivèrent enfin, Papa laissa tomber son habituel « Bonne nuit ! », puis passa à côté de moi pour entrer dans leur chambre à coucher. Lorsque Maman passa, je la saisis par le poignet et la suppliai :

– Maman, s’il te plaît, on peut parler maintenant ?

Pour la première fois, elle semblait comprendre que quelque chose me tracassait profondément.

Elle s’assit et je me frottai les mains moites l’une contre l’autre.

– Maman, te souviens-tu quand tu me disais que je mange trop et que ça pourrait me faire grossir ?

Comme toujours, elle anticipa.

– Oh, Céline, tu n’as pas pris cela au sérieux ? Tu n’as réellement pas grossi.

– Tu ne comprends pas, Maman. Je suis en train de prendre le poids. Mais, ce n’est pas parce que je mange trop. C’est parce que … je suis enceinte !

Son visage afficha d’abord la surprise, puis le doute. Elle me regarda de la tête aux pieds, en quête de preuves. Comme mes larmes coulaient, elle comprit que je ne plaisantais pas.

Me fixant du regard, elle me demanda :

– Es-tu sûre, Céline ? As-tu fait le test de grossesse dans un Centre de santé ?

– Oui, Maman.

Aussitôt, elle fondit en larmes et se prit la tête entre les mains.

– Céline, comment as-tu pu me faire ça ? dit-elle en sanglotant.

– Maman, fis-je, en enlevant ses mains de son visage. S’il te plait, ne pleure pas, suppliai-je pendant que mes propres larmes me brouillaient la vue. Sans rien dire d’autre, elle se précipita dans sa chambre.

J’étais assise là, ne sachant si mon cœur continuait de battre. Je ne pouvais plus réfléchir.

J’étais comme morte. Au moins, dix minutes passèrent avant que je ne pus me lever.

Une fois dans ma chambre, je restai debout devant mon miroir. Tout ceci est certainement en train d’arriver à quelqu’un d’autre, pas à moi… La personne au regard angoissé que j’apercevais dans le miroir ne pouvait sûrement pas être moi. Des larmes brûlantes coulaient sur mes joues.

]’entendais des pleurs étouffés et des chuchotements qui venaient de la chambre de mes parents.

Je me mis dans mon lit et enfonçai ma tête dans l’oreiller. Je me mordis la lèvre, m’efforçant de ne pas pleurer.

Puis, une nouvelle peur grandit en moi. La peur de voir arriver le lendemain.

Chapitre 11

Quand ma mère s’assit sur mon lit, je me réveillai.

– Céline, m’appela-t-elle doucement en me mettant la main sur l’épaule ? Je suis maintenant prête à te parler.

J’ouvris les yeux, mais lorsque je vis combien ses yeux étaient rouges, je tournai rapidement mon visage de l’autre cote.

– D’accord Maman, répondis-je, craignant ce qu’elle allait me dire.

– Céline, je ne pouvais pas te parler la nuit dernière. Il me fallait du temps pour réfléchir. ]’espère pouvoir te dire tout ce que je pense.

Sa main glissa de mon épaule, puis elle saisit un mouchoir.

– En vérité, je n’avais jamais imaginé qu’un jour je serais assise à parler de telles choses avec toi.

Soudain, ma mère m’apparut très âgée et abattue par la déception qui se lisait sur tout son visage. Honteuse je détournai mon regard.

– Franchement, je suis déçue. Tu t’es détournée des paroles de ta grand-mère et de tes tantes qui te conseillaient de rester pure.

J’avais l’impression qu’on me mettait à nu devant elle. Elle était visiblement embarrassée et cela me fit davantage honte.

– Hier nuit, poursuit-elle avec difficulté, en pensant à ce problème, je m’en suis voulu à moi-même. J’ai pensé à plusieurs erreurs que j’ai commises en tant que mère.

Cela semble vrai, pensai-je. Peut-être que ce n’est pas vraiment ma faute.

Puis les paroles acérées de Maman captèrent mon attention.

– Mais en vérité : Ce n’est pas ma faute. Tu savais bien que ce n’est pas bon de forniquer avant le mariage, mais malgré cela tu as décidé de le faire. C’était ta décision, pas la mienne.

Les larmes aux yeux, je dis :

– Mais, Maman…

Elle poursuivit sans tenir compte de ce que j’avais dit

– Évidemment, j’en veux aussi au garçon. Tu sais qui c’est ?

– Oui, répondis-je faiblement.

– Tu en es certaine ?

Je levai les yeux, choquée : elle croyait donc que j’ai couché avec plus d’un garçon !

– Bien sûr il est le seul avec qui j’ai…

– Comme je le disais, lança Maman avant que je n’eus terminé ma phrase, c’est d’abord lui que j’accuse, quel qu’il soit. Ce doit être sa faute, ajouta-t-elle. Il a contraint ma fille.

– Non, Maman, il ne m’a pas contrainte.

– Je sais, reprit-elle calmement. Puis, essuyant ses larmes, elle continua : – Céline, ce matin ton père et moi avons parlé de plusieurs choses que nous aurions dû faire différemment. Nous aurions dû établir plus de règles de conduite et mieux suivre tes mouvements. À chaque instant, nous aurions dû savoir où tu es et avec qui tu es. En plus, nous n’aurions pas dû te permettre de rester seule avec un garçon. Toutes les fois où tu partais en ville, Sylvie et ta sœur auraient dû être avec toi. Seulement : nous avions peur d’être traités de parents vieux jeu. À présent, il est trop tard pour parler de tout ça. Tout simplement, nous endossons une partie de la responsabilité, quant à l’autre, c’est la tienne.

– Maman, je n’avais pas pensé que je pourrais tomber enceinte.

Aussitôt, je réalisai que cette déclaration était complètement insensée.

Toutes deux, nous nous tûmes un moment. Puis, Maman leva les yeux sur moi ; c’est à peine si elle ne criait pas :

– Pourquoi as-tu fait ça, Céline ? Pourquoi ? J’’avais tellement confiance en toi et nourrissais tellement d’espoir pour ton avenir.

– Je regrette, Maman. (Encore une déclaration insensée. Le regret ne résout rien.)

– Céline, (la voix de ma mère se radoucit.) la seule pensée qui me revenait sans cesse c’était : je t’aime. Quoiqu’il arrive, je t’aime.

– Oh Maman, je t’aime aussi, dis-je, pendant que toutes deux nous fondîmes à nouveau en larmes nous étreignant étroitement. Crois-moi, je ne l’ai pas fait pour te blesser. Je ne sais pas pourquoi je l’ai fait.

Séchant ses larmes avec son mouchoir, Maman devint brusquement pragmatique. `

– Nous devons prendre un rendez-vous pour toi chez le docteur. En plus, ton père et moi devrons parler avec les parents du jeune homme.

– Il m’a dit qu’il nierait être l’auteur de la grossesse.

– Quand te l’a-t-il dit ?

– Il a téléphoné il y a quelques jours.

– Néanmoins, les parents des deux familles doivent parler ensemble de toute cette affaire.

Je fis oui de la tête.

 Le dîner de ce soir-là était le plus amer repas que nous ayons jamais pris. Nous étions autour de la même table prenant le même repas, mais rien n’était comme avant. Papa garda le silence comme d’habitude, mais son silence semblait distant et froid. Il n’osait même pas me regarder.

J’allai me coucher tôt, voulant éviter tout contact avec ma famille. Même s’ils ne se sont pas dissociés de moi, il me fallait m’éloigner d’eux. Je ne me sens plus digne d’être membre d’une aussi bonne famille.

De façon surprenante, j’avais dit à Ruth il y a quelques semaines, que ma famille n’est pas affectueuse. A présent, je sais que ce n’est pas vrai. L’affection y a toujours régné… je ne l’ai simplement pas remarquée.

La plaque indiquait Centre de Consultations Prénatales. Maman tira la porte et me laissa entrer la première. Je voulus parler à l’infirmière, mais Maman me devança en donnant mon nom. L’infirmière remit une fiche à remplir à Maman. Je la suivis alors qu’elle nous choisissait des places dans la salle bondée de monde. Je me sentais ridicule – comme une gosse incapable de se débrouiller toute seule.

La dame assise face à moi avait les mains posées sur son énorme ventre. Je me retournai vers Maman ; que faisait-elle ? Elle remplissait la fiche pour moi !

– Maman, je peux le faire moi-même, murmurai-je. Je suis une grande fille.

Maman semblait choquée.

– Je suis désolée, Céline. Je n’y ai pas pensé. Bien sûr que tu peux le faire. Elle me remit la fiche et le stylo. Mais, je remarquai que je ne pouvais pas répondre à une bonne partie des questions. On

me demandait sur la fiche le nom de celui qui payerait les frais de traitement, l’adresse du lieu de travail de mon père, et ainsi de suite.

Je laissai à Maman le soin de finir de remplir la fiche. Lorsqu’elle la ramenait à l’infirmière, je fis semblant de lire une revue. Je tournais les pages sans rien voir, j’étais tellement intéressée à observer toutes ces femmes enceintes dans la salle. Jamais auparavant, je n’avais vu des ventres de formes et de dimensions aussi variées !

J’essayais d’imaginer l’allure de ces femmes avant de devenir aussi difforme. Puis je me demandai : comment serai-je dans quelques mois ? Cette idée me révolta ! Je ne pourrai plus jamais porter tous mes habits dernier cri.

Lorsqu’on appela mon nom, j’étais contente de ne pas voir Maman venir avec moi. Une infirmière me conduisit dans une petite salle pour y prendre mon poids. Puis elle me remit une tasse en plastique en disant :

– Un peu de ton urine.

Elle pointa du doigt les toilettes.

Comme je déteste remettre à quelqu’un une tasse de mon urine !

Après quoi, l’infirmière me demanda de me dévêtir.

Elle me remit une blouse blanche d’hôpital puis me conduisit vers un petit vestiaire. Je refermai la porte puis m’efforçai de me déshabiller vite pour ne pas faire attendre l’infirmière. Vêtue seulement de la blouse blanche, j’avais l’impression d’être totalement nue. Timidement, j’ouvris la porte puis regardai dehors. L’infirmière était encore là, attendant impatiemment.

– Assieds-toi là, fit-elle en m’indiquant un tabouret blanc bien haut. Elle prit ma tension.

– Pourquoi es-tu venue ? demanda-t-elle, comme si elle ne le savait pas.

– Je suis enceinte, répondis-je, d’une voix innocente.

– À quand remontent tes dernières règles ?

– Aux environs du 28 novembre.

Elle regarda la fiche que Maman et moi avions remplie, probablement pour voir mon âge. Elle me regarda encore, puis sourcilla comme pour dire :

– C’est incroyable, tu as décidé de commencer jeune, n’est-ce pas ? Puis elle me tourna dos et sortit. Je ne regrettais pas de la voir s’en aller.

Je regardai autour de moi dans la salle. Il n’y avait rien d’autre que les diplômes du médecin. Finalement, le médecin entra précipitamment dans la salle.

– Bonjour, Céline. Je suis le docteur Walmon. Comment vas-tu ?

Son enthousiasme m’étonna. Je m’attendais à le voir aussi revêche que cette infirmière.

– Bien, je suppose.

– Je vois que tu attends un enfant. À quand remontent tes dernières règles ?

– Le 28 novembre.

– C’est bien.

Pendant qu’il parlait, il me fit coucher et commença à toucher mes seins de ses mains glacées.

– Bien, Céline. Maintenant il est l’heure de t’examiner.

Juste à ce moment, l’infirmière sortit. Je regrettai son départ. Lorsque je levai les yeux une seconde fois, ce n’était plus la même infirmière ; elle avait été remplacée par une plus jeune qui portait des lunettes dernier cri.

– Voici Céline, lui dit le docteur.

– Salut ! Céline. Je m’appelle Marie, dit-elle avec gaieté.

– Enchanté de faire votre connaissance, répondis-je en souriant.

– Céline, me dit-elle, pousse vers le bas jusqu’à la limite de la table et pose tes pieds sur ces bras métalliques afin que le docteur puisse t’examiner.

Lorsqu’elle finit de m’aider à me mettre dans la bonne position, je me sentis très embarrassée. Mes fesses se trouvaient à la limite de la table. Mes jambes étaient largement écartées, et mes pieds reposaient sur les deux bras métalliques. Le docteur saisit quelque chose qui ressemblait à un gros bec de canard. Je crois qu’il remarqua que je voulais savoir ce que c’était.

– Cet instrument froid s’appelle un spéculum, expliqua-t-il. Il sert à ouvrir ton vagin afin qu’on puisse examiner le col de ton utérus.

– Vous avez raison c’est froid, dis-je, en souriant pour oublier mon embarras.

– Voyons ça Marie. Nous avons affaire aujourd’hui à une fille qui a du cran !

Marie sourit et me fit un clin d’œil amusé. Puis, d’un ton sérieux, le docteur reprit :

– À présent, Céline, je vais prélever un petit échantillon du col pour faire un frottis vaginal.

C’est un test qui permet de détecter une maladie appelée cancer du col de l’utérus.

– Ne pensez-vous pas que je suis trop jeune pour avoir ce type de cancer ?  Ça me semble être une maladie de dames, alors que je n’ai pas du tout le sentiment d’en être une.

– Non, tu n’es pas trop jeune. En effet, toute fille qui entretient précocement des relations sexuelles est exposée à ce type de cancer. Elle l’est davantage si elle a plusieurs partenaires sexuels. Il y a deux semaines, nous avons découvert une fille de 16 ans qui a le cancer de l’utérus.

– Oh ! m’exclamai-je. Je faillis lui dire que je n’avais qu’un seul partenaire. Mais je décidai de ne pas aborder ce sujet. De toute façon, je ne pouvais pas nier que j’ai commencé à avoir des relations sexuelles étant très jeune. Alors, le docteur retira le spéculum, mit un gant et commença à introduire son doigt dans mon vagin.

Ça fait mal ! Il me dit de me détendre. Comment le pourrais-je ? Comment une fille pourrait-elle se relaxer avec le doigt d’un inconnu dans son corps ?

– Céline, tu portes une grossesse de près de trois mois. Alors, l’infirmière va te faire un prélèvement de sang. Nous allons analyser ton sang pour savoir si tu as une MST (Maladie Sexuellement Transmissible).

– Mais, docteur, c’est impossible que je n’aie le SIDA ni aucune autre de ces maladies sexuelles. Car, il n’y a qu’un seul garçon avec qui j’ai couché et il n’avait aucune de ces…

– Tu ne peux pas en être sûre, Céline. Voilà pourquoi nous devons faire un test.

J’avais à peine fini de me rhabiller quand il revint dans la salle et commença à parler.

– Céline, je suis content que tu sois venue me voir au tout début de ta grossesse. Tu es toi-même un enfant. Tu n’as pas encore fini de grandir. Par conséquent, ton corps n’est pas prêt à faire un enfant. C’est pourquoi il est extrêmement important que tu manges normalement et que tu prennes les vitamines que je vais te prescrire. Je te conseille de prendre trois bons repas par jour. La viande, le lait, les légumes frais et les fruits sont conseillés. Évite le sucre et le sel. Bois beaucoup d’eau. As-tu des questions ?

Mes idées tourbillonnaient l Il avait dit tant de choses en si peu de temps !

– Non, je ne pense pas.

– Bien, Céline. On se reverra le mois prochain.

– Merci, docteur.

Chapitre 12

La seconde visite chez le docteur Walmon n’était pas si difficile. Je n’ai pas eu à me déshabiller. Il m’a demandé de monter ma robe et de me coucher. Puis, il a accroché le stéthoscope à ses oreilles afin d’écouter le battement de mon ventre.

– Je n’entends encore rien, annonça-t-il en souriant. J’entendrai probablement la prochaine fois le battement du cœur du bébé. Au milieu du mois de mai, tu vas commencer à sentir bouger le bébé. Des questions ?

– Juste une, Docteur, puis je dormir sur le ventre ?

– Ça commence à devenir inconfortable, n’est-ce pas ?

– Oui, docteur.

– Ça ne fera pas mal au bébé. Mais, je suggère que tu dormes sur le côté. D’accord ?

Je fis oui de la tête.

– Bien. On se voit le mois prochain.

– Au moment où je sortais, je me rendis compte que j’appréciais les visites chez le docteur. (Je vois qu’il me comprend. Il est la seule personne avec qui je ne me gêne pas de parler de grossesse, me dis-je).

Je suis toujours gênée lorsque je suis à côté de maman. Je ne sais pas si je dois me comporter comme une petite fille ou alors comme une adulte.

J’évite Ruth. Je ne veux pas lui donner l’occasion de me dire qu’elle ne veut plus jamais me revoir. J’ai été rejetée par tellement de personnes, que je ne veux plus me faire rejeter par quiconque… surtout pas par Ruth.

Et Sylvie ? Elle est la seule personne à l’école qui sait que je suis enceinte. Elle reste toujours ma meilleure amie, mais je suis sûre qu’elle déteste marcher avec moi pour aller à l’école. Nous n’avons plus de sujet de discussion. On ne peut pas parler des soirées auxquelles elle a participé parce que je n’aurai rien à dire. Et je n’aime pas parler du bébé parce que cela nous amènerait à parler de la sexualité.

– Alors, dis-moi, est-ce amusant ? me chuchote Sylvie hier en partant à l’école.

– Qu’est-ce qui est amusant ? lui demandai-je toute perdue.

– Tu sais… avoir un petit ami… comme ça.

– Non, ce n’était pas amusant, répondis-je, avec impatience.

– Alors… pourquoi avais-tu… ?

– Je n’en sais rien. Je pensais que ça serait comme les crèmes glacées.

– Comme des crèmes glacées ???

– Oui, tu sais, quelque chose de plaisant et de merveilleux.

Elle semble ne rien comprendre et répéta :

– Comme des crèmes glacées ?

– Oh, oublions ça !

Nous parcourûmes le reste du trajet dans un silence pesant.

 

Pour Céline tout a changé. Elle a commencé les visites prénatales. À l’école, elle a l’impression que personne ne la comprend plus.

 

Pendant les cours de M. Sanka, les élèves ne font rien que murmurer, faire circuler des notes et rire, Il ne remarque jamais rien. D’une voix sèche, il parle sans interruption. Je pense qu’il se dit que nous l’écoutons vraiment.

Toutes mes amies étaient surprises de voir que je ne me mêlais plus à leur pitrerie. Je restais plutôt calme, cachant avec mon pull mon ventre qui grossissait. Pendant que M Sanka parlait des fleurs et des grenouilles, j’ai mon esprit ailleurs. A quoi pensais-je ? Au bébé. Je pensais toujours au bébé. Il y a deux semaines, je le sentais faire ses premiers mouvements. Depuis lors, le bébé occupe toute ma pensée. La nuit, avant de m’endormir, je me sens particulièrement proche de lui (ou d’elle).

Souvent je me demande : À qui ressemblera-t-il ? Comment vais-je prendre soin de lui ? Maman laissera-t-elle son travail pour

s’occuper de mon bébé ? Ben changera-t-il l’idée et viendra-t-il

nous prendre, mon bébé… et moi ?

Quand arrêterai-je l’école ? Ce changera de ne plus avoir affaire à des enseignants aussi nuls que M. Sanka ! Mais que ferais-je ai la maison toute la journée ?

– Céline !

Soudain, je réalisai que M. Sanka m’avait appelée plusieurs fois. Tout le monde dans la classe me regardait !

– Céline, écoute-moi, quand je te pose une question. Sais-tu au moins quelle question je t’ai posée ? S’il te plait, raconte à la classe ce qui te préoccupe tant !

C’était la première fois que je voyais M. Sanka en colère. Et en plus contre moi ! Sans me laisser répondre, il ajouta :

– Tu resteras en classe pendant la pause et tu apprendras le chapitre sur les fleurs ?

Je répondis oui de la tête et émis un soupir de soulagement lorsque tous les regards me quittèrent pour se porter sur M. Sanka. A midi, Sylvie savait tout.

– J’ai appris que tu as eu des problèmes avec M. Sanka, dit-elle en riant.

Je n’avais pas envie d’en parler, ainsi tout ce que je pouvais dire, c’est :

– Ouais, c’était vraiment gênant !

Heureusement qu’elle changea de sujet.

– Écoute, Céline. Tu t’en rends compte, ça va faire bientôt un mois que tu ne m’as pas rendu visite à la maison. Pourquoi ne viendrais-tu pas ce soir ? On préparera les hamburgers, comme on faisait auparavant.

La pauvre Sylvie essayait toujours d’être gentille avec moi. Alors, que pouvais-je faire ?

– Bien sûr, je viendrai avec plaisir.

– Les hamburgers, ça te va ? dit-elle en posant sa main sur son ventre.

– Oui Sylvie. Les hamburgers me font plaisir, répondis-je, impatiente. Je suis si fatiguée d’être différente des autres filles.

 

Je salivais au moment ou Sylvie et moi répandions la sauce tomate sur nos hamburgers.

– J’espère que le bébé se délectera de ce hamburger, déclarai-je en tapotant le petit ventre rond sous ma robe.

Je regrettai d’avoir parlé de bébé parce que cela amena Sylvie à poser des questions… toutes les questions auxquelles j’étais fatiguée de penser.

– Qui s’occupera de ton bébé ? interrogea-t-elle en prenant la première bouchée.

– Je peux m’en occuper moi-même ! J’aime les bébés. Ils sont doux et faciles à supporter. De plus le bébé sera quelqu’un qui va m’aimer.

– Céline, tu penses vraiment que la vie sera merveilleuse avec un bébé ? Je veux dire à ton âge…

– Non, je ne dis pas que tout sera merveilleux. C’est la vie, avec ses hauts et ses bas. Mais, je suis sûre qu’un enfant m’aidera… il rendra ma vie intéressante.

Sylvie remua la tête.

– Céline, les bébés ne rendent pas la vie intéressante. Ils vous mettent sur la voie de solitude. Les garçons s’intéressent peu aux filles qui ont des enfants.

– Comment le sais-tu ?

Elle ne prêta pas attention à ma question et poursuivit.

– Si tu dois toi-même t’occuper de ton bébé, tu ne termineras jamais les cours et n’iras pas à l’université. Non, Céline, il faut que tu trouves quelqu’un qui s’occupera de lui.

– Qui ? Je doute que Maman veuille quitter son travail pour s’occuper de mon bébé. La meilleure chose que je puisse faire, c’est de me trouver un emploi et payer une femme pour qu’elle le garde pendant la journée.

– Sans qualification, quel genre de boulot peux-tu obtenir ? demanda Sylvie en avalant un autre morceau. Et puis, as-tu vraiment envie qu’une bonne vienne s’occuper de ton enfant ?

– Oh arrête de prêcher ! Je vois ton problème… tu détestes les enfants !

– Pas du tout ! Je veux seulement ne pas y penser pour le moment. Maintenant, je veux avoir des amies de mon âge. Lorsque je me marierai, ce sera le moment d’avoir des enfants.

– Alors, c’est pour cela que tu es fâchée. Tu es jalouse parce que j’ai commencé avant toi.

– Ah, je ne suis pas jalouse. J’ai dit que je veux avoir des enfants quand je serai mariée. Ce que veux dire lorsque j’aurai un mari.

– Qui dit que je n’aurai jamais de mari ?

– Tu penses que les garçons s’intéressent à une fille qui a déjà un enfant d’un autre ?

Mes yeux crachaient du feu.

– Qu’est-ce qui te rend si experte en la matière ?

Sylvie baissa les yeux. Sa voix s’adoucit.

– Mon frère aimait Priscille. Il l’aime toujours, mais il se dit : « Elle a eu un enfant avec un autre homme. » À présent, il réfléchit s’il veut l’épouser ou pas…

– Oh ! dis-je calmement. Écoute, Sylvie. Pourquoi doutes-tu que Ben veuille se marier avec moi ? C’est son fils.

Sylvie était silencieuse. Son visage semblait dire qu’elle était désolée pour moi.

– Tu sais, poursuivis-je, quelque chose au fond de moi me dit que Ben viendra demander ma main. Nous ferons un beau mariage, aménagerons dans un petit appartement et mènerons ensemble une vie de bonheur.

– Céline, ne vois-tu pas que ce ne sont que des rêves ? Il faut que tu te réveilles ! Observe les faits, Céline. Ben ne t’aime pas ! Je ne crois pas qu’il ne t’ait jamais aimée.

Ces mots entrèrent comme un couteau dans mon cœur déjà blessé

– Qu’entends-tu par-là ? interrogeai-je vivement

– Oh, Céline, je ne voulais jamais te le dire…

– Me dire quoi ? J’avais peur d’entendre ce qu’elle allait me dire.

– Pendant les vacances, alors que tu n’avais d’yeux que pour Ben, lui regardait ailleurs.

– Peux-tu me donner une preuve ? Mes larmes commencèrent à couler.

– Céline, du début jusqu’à la fin des vacances, Ben me téléphonait souvent, essayant de me baratiner ! Sylvie pleurait en même temps que moi.

– Mais pourquoi ne me l’as-tu pas dit ?

– Je ne savais pas que vous couchiez ensemble. Au fait… je n’ai jamais pensé que tu tomberais enceinte. Je savais qu’il repartait à la fin des vacances ; aussi je pensais qu’une fois parti, tu l’oublierais aussitôt.

Je m’agrippai à elle en pleurant à chaudes larmes. Oh ! comme je détestais Ben ! Mais en même temps, je souhaitais tellement qu’il revienne m’aimer comme avant (ou comme j’imaginais qu’il m’aimait !) Il a gâché ma vie ! Comment ai-je pu être aussi aveugle ? Pourquoi lui ai-je permis de m’utiliser de cette façon ?

– Oh Sylvie… Sylvie, pleurai-je, tu avais raison. Tous mes espoirs avec Ben n’étaient que des rêves. A présent, je ne veux pas revenir à la réalité ! J’ai été si stupide !

Chapitre 13

Mon cœur était lourd et douloureux. Je suis surprise qu’il continue de battre sous ce terrible poids. Ce qui est surprenant, c’est qu’il m’est difficile à présent de pleurer. Lorsque je le fais, ce sont des larmes de colère et de haine. Peu m’importe si je ne mange plus jamais car la nourriture est sans goût. J’ai brûlé toutes les photos de Ben. Comment peut-il se servir de moi et me laisser tomber comme une ordure? Il me disait:« C’est comme les crèmes glacées. » Maintenant, j’ai le sentiment d’être comme un plat de crème glacée … vide … et sale. Il avait promis de m’aimer toujours. Je lui ai livré mon corps. Il est le père de mon bébé. Je veux qu’il-m ’aime. J’ai besoin qu’il m’aime. Chaque jour, le terrible vide de mon cœur s’agrandit. J’ai quitté l’école. Tout le personnel et les élèves savent que je suis enceinte. Je ne peux plus le cacher. J’ai l’impression d’être un animal crevé-quelque chose de si dégoûtant que personne ne veut s’en approcher. Le plus souvent je reste à la maison parce
que je déteste qu’on me voie marcher en ville. Je suis si jeune et mon ventre si gros que tout le monde me dévisage. J’étais heureuse lorsqu’un jour, cinq filles de l’école vinrent me rendre visite à la maison. Elles semblaient vraiment se réjouir de ma grossesse. Elles étaient toutes autour de moi, chacune cherchant à toucher mon ventre. Mais, aucune ne veut de moi comme amie ! Hier, c’était mon anniversaire. J’ai reçu quatre cadeaux de différents parents. C’était tous des paires de chaussettes.

Évidemment, il est difficile de choisir un cadeau pour une fille enceinte qui ne devrait pas l’être. Il m’arrive souvent de me demander ce que serait ma vie dans dix ans. Aurai-je un mari et des enfants ? Quel genre de mère serai-je ? Ce que je sais : je souhaite que mes enfants ne traversent pas les même épreuves
que moi. Au moment de leur adolescence, je les encouragerai à pratiquer de saines activités sociales organisées pour des groupes de jeunes. Oui, des groupes! Il y a tellement de risques à ce qu’une fille reste longtemps
seule avec un garçon. Pourquoi l’ai-je appris trop tard? Ce soir je me décidai : il faut que je téléphone à Ben. Je ne peux plus attendre un autre jour sans
son soutien effectif. Le combiné tremblait dans ma main.
-Allô! dit une voix féminine. (C’était la sœur aînée de Ben.)
-Allô ! Ben est-il là ?
Elle se tut un instant, cherchant probablement à deviner qui ça pourrait être.
– Non, je suis désolée, il est allé à une soirée
en compagnie d’une grande et belle jeune
fille; je pense qu’elle ·s’appelle Gladys. Voulez-vous laisser un message?
– Non, merci. Au revoir.
Me précipitant dans ma chambre, je jetai mon oreiller contre le mur aussi violemment que je le pus. Je refusai de prendre le dîner. .. ce furent plutôt les larmes qui étaient ma seule nourriture

Chapitre 14

Aujourd’hui, j’ai décidé de rendre visite à Ruth. Ces deux derniers mois, elle m’a toujours téléphoné au moins deux fois par semaine. Mais, je n’ai jamais répondu à ses appels. Je demandai à Eunice de prendre tous les appels. Je l’ai entraînée à dire à tous ceux qui appellent : « Désolée, Céline n’est pas là. » Mais à présent, je n’ai rien à perdre en parlant à Ruth. Je ne peux pas me sentir plus mal que présentement. Si Ruth me gronde et me rejette, que m’importe ! Tout le monde m’a rejetée. En jetant un coup d’œil dans un miroir, j’aperçus un visage tendu encadré de cheveux ébouriffés. J’essayai tant bien que mal d’arranger mes cheveux; dix minutes après, je marchai sous une pluie froide pour me rendre chez Ruth. J’arrivai les pieds et le ventre tout trempés. Le vieil imperméable de papa me protégeait le reste du corps. Ruth était visiblement ravie de me voir. Ses yeux brillaient de joie. -Céline ! Entre ! Entre directement ! Elle me prit dans ses bras et m’étreignit. Je portais encore l’imperméable mouillé! Evidemment, j’avais tort de penser qu’elle me rejetterait. Elle prit mon pardessus puis l’accrocha près de la porte afin qu’il s’égoutte sur le paillasson. Je choisis de m’asseoir sur une chaise droite, il m’était désormais très difficile de sortir des fauteuils lorsque je m’y asseyais. Le petit Joël courut se jeter sur moi, l’étreinte de ses petits bras combla le vide de mon cœur. Ruth ôta une des voiturettes de Joël de la chaise en face de moi, puis s’assit. – Comment va ta famille ? me demanda-t-elle. – Oh ! dis-je en haussant les épaules, ils vont bien. – Que pensent-ils de ton nouvel état ? – Je pourrais te mentir, répondis-je avec amertume. Je pourrais te dire que ma famille a très bien accepté ma grossesse . . . Que Eunice est une frangine cool qui ne se mêle jamais aux railleries qu’organisent ses amis à mon sujet … Que mon frère aîné oublie son football, ne serait ce que deux minutes, pour m’adresser un mot gentil… Que Papa m’a pardonné et m’a acceptée telle que je SUIS … Ruth demeura silencieuse, le regard inquiet. Je regardais par la fenêtre. – Si je te disais tout cela, ce serait un tissu de mensonge, repris-je. – La vérité, c’est quoi donc ? demanda gentiment Ruth en prenant Joël sur ses genoux. Respirant à fond, je commençai: Eunice prétend ne pas me connaître lorsqu’elle est parmi ses amies. Mon frère ne lève jamais les yeux de son magazine de football pour m’adresser la parole à propos de quoi que ce soit. Quant à Papa, … comme d’habitude il me regarde sans mot dire. Peut-être que s’il disait quelque chose, ce serait blessant. Je soufflai un instant, essayant d’imaginer ce qu’il pourrait dire. Heureusement qu’il ne parle pas beaucoup. – Qu’attends-tu d’eux ? demanda Ruth, tandis que Joël commençait à s’endormir dans ses bras. – Je désire qu’ils m’acceptent. C’est tout ce que je souhaite. ( J’essuyai une larme dans le coin de l’œil…) j’aimerais qu’ils me pardonnent et m’acceptent en tant que membre de la famille. Ruth fit oui de la tête. Je savais qu’elle me comprenait. Quand elle reprit la parole, c’était d’une voix douce et chaleureuse. – Je regrette que tu aies l’impression que personne ne t’accepte. Mais sais-tu qu’il y a au ciel un Père qui serait si heureux de t’accepter ? Il attend tout juste que tu choisisses de devenir son enfant. – Pourquoi attend-il que je décide de devenir son enfant ? J’ai toujours été son enfant … ou bien ? Ne sommes- nous pas tous ses enfants ? Ruth sourit. – Dieu nous a créés parce qu’il veut que nous soyons ses enfants. Mais les hommes se sont détournés de lui. Quand elle remarqua que Joël dormait, elle dit doucement: – Excuse-moi une minute, puis elle le coucha dans son lit. Pendant qu’elle s’éloignait, je réalisai soudain : je me suis détournée de Dieu !

Chaque jour, je le rejette et je fais ce que je veux ! Quand Ruth revint, elle apporta sur un plateau une théière et deux tasses. Pendant qu’elle me servait, je lui demandai: Oui sont les vrais enfants de Dieu ? -Dieu accepte tout le monde. Ses enfants ce sont ceux qui décident de l’accepter dans leur vie. C’est-à-dire, ceux qui l’acceptent comme leur ami et maître. – Quel avantage y a-t-il à le faire ? demandai-je avec scepticisme. – Les avantages sont multiples. Quand on accepte Dieu, il nous pardonne. Il nous procure la paix et nous donne la force d’affronter les épreuves de la vie. Il nous offre la vie éternelle. Il y a tellement de choses qu’un Père parfait peut faire pour ses enfants. – Parfait ? Mais alors il n’y aura plus d’espoir pour moi, pensai-je. Oh Ruth, il ne m’acceptera jamais comme son enfant ! – Pourquoi pas ? interrogea Ruth. – Cette raison n’est-elle pas suffisante? fisje en pointant mon ventre du doigt. Je ne pourrai jamais être l’enfant d’un père parfait. Ce gros ventre n’est pas mon seul péché. Dans ma façon de me comporter et de parler. . . je suis certaine que je commets plein de péchés tous les jours. Je ne serai jamais assez bonne pour être un enfant de Dieu. Le regard de Ruth s’adoucit. – Personne n’est assez bon pour l’être. Nous souffrons tous des conséquences de nos péchés. Mais Dieu donne la possibilité aux pécheurs que nous sommes de devenir ses enfants. Il envoya son Fils pour souffrir à notre place afin que nous soyons lavés de nos péchés. Pendant que nous parlions, le temps filait. C’était la première fois de ma vie que j’écoutais avec intérêt quelqu’un me parlant à ce sujet. Par le passé, j’avais souvent écouté des prédicateurs dire : « Jésus est mort pour nous ! » Je me disais : ce sont des mots pieux qui n’ont aucun sens. Mais à présent que Ruth en parlait, je commençais à comprendre. Oui, je réalisai que je devrais être séparée de Dieu à jamais par l’enfer … mais que je peux être sauvée ! Je peux devenir un enfant de Dieu et vivre éternellement avec lui. Pourquoi ? Parce que Jésus a porté mes péchés et souffert … à ma place ! Il est mort pour moi ! – Ruth, fis-je, la voix tremblante, je voudrais devenir un enfant de Dieu … comme toi. – J’en suis si heureuse, Céline! Dis-le lui tout de suite. -Le lui dire? Tu veux dire … prier? Je ne sais pas comment on prie. – Comment t’adresses-tu à moi ? Je haussai les épaules. – Tout simplement en parlant. – Fais de même avec Dieu … parle-lui, me conseilla simplement Ruth. Je baissai la tête puis fermai les yeux.

-Dieu … je ne sais que dire. J’ouvris les yeux et regardai Ruth. Elle m’encouragea d’un sourire.
Fermant à nouveau les yeux, j’ajoutai: – Seigneur, je crois maintenant en Jésus. Pardonne mes péchés et fais de moi ton enfant. Commence à me changer. Je veux devenir le genre de personne que tu veux que je sois.
Puis, je levai les yeux sur Ruth et chuchotai: … amen … ???
Je craignais d’avoir mal fait les choses. Ça ne ressemblait pas à une prière.
Ruth quitta sa chaise, vint s’asseoir à côté de moi, puis prit ma main.
– Cher Père, tu as entendu toutes mes prières à propos de Céline et tu les as exaucées aujourd’hui ! Comme je t’en remercie ! Amen ! J’étais surprise – la prière de Ruth, elle non plus, ne ressemblait pas à une prière !
J’ouvris les yeux. Rien n’avait changé, néanmoins quelque chose manquait.
– Ça a disparu ! m’exclamai-je.
– Qu’est-ce qui a disparu? demanda Ruth.
– Le grand vide que j’avais dans mon cœur !
Il n’est plus là !
Je la regardai; la joie inondait mon visage. Se penchant sur moi, elle m’étreignit.
Le téléphone sonna, interrompant ainsi notre joie silencieuse.
– Céline, c’est ta sœur, me dit Ruth. – Allô, Eunice. Qu’y a t-il ?
Sa voix était grave. – Il m’a demandé de te le dire. Je parle de
Ben. Il est revenu. Il vient tout juste d’appeler du Quick. Il veut que tu viennes le voir là-bas.

L a pluie avait cessé. Je marchais tête baissée. Je ne voulais penser ni à Ben, ni à ce qu’il pourrait me dire. Néanmoins, il m’était impossible de ne pas réfléchir.
Pourquoi est-il venu ? Je tremblais de peur et d’excitation. Il est peutêtre venu me prendre pour aller chez lui où nous pourrions organiser un beau mariage. Oh ! pourquoi n’ai-je pas mis ma robe rose mise de côté pour accouchement plutôt que cette vieille blouse bleue qui porte une tache de graisse sur la poche ? Je décidai d’emprunter le chemin le plus long afin de pouvoir m’approcher du Quick sans être vue. Je voulais voir Ben avant même qu’il ne me voie.
Je marchais vite, certaine que tous ceux que je dépassais entendaient les battements de mon cœur. À sa vue, je m’arrêtai net. Je me souviens aussitôt du premier jour des vacances quand je le vis exactement en cet endroit. Dans son pantalon bleu roi et sa chemise marron, il paraissait encore plus beau. Le bleu en soie était sa couleur favorite, le satin, mon tissu préféré. Combinés, ils le faisaient apparaître plus chaleureux et attirant.
Il regardait ailleurs, mais je savais que son regard était plein d’assurance comme toujours. Il était si beau… si respectable. Je désirais le prendre dans mes bras et le serrer contre moi. Mais en même temps, j’avais envie de le lapider avec un gros caillou.
Au lieu de cela, je marchai lentement vers lui :
Bonsoir Ben.
Il perdit aussitôt son assurance quand, les yeux écarquillés, il… me fixa d’abord… puis regarda mon ventre. Je n’aurais jamais cru que Ben savait se mettre en colère. Et pourtant, il était là, la voix tremblante de rage. – Jamais je… euh…jamais… Ses yeux restèrent fixés sur mon ventre arrondi. Sa voix était tellement différente de celle, douce et sereine à laquelle j’étais habituée. Il essaya à nouveau, balançant maladroitement sa main : – Je ne m’attendais pas à te voir… euh…ainsi. Je voulus demander : À quoi pensais-tu qu’une fille enceinte ressemblerait ? Au lieu de cela, je préférai la politesse. – Comment vas-tu ? demandai-je. Encore une fois, il essaya de me regarder dans les yeux, mais c’était comme si un aimant attirait son regard vers le bas, sur ce ventre arrondi. – Euh…bien, je suppose… Il regardait nerveusement çà et là, pendant que nous longions une rue calme où nous pouvions parler seul à seul. – Je pense qu’il avait appris par mon cœur les paroles qui suivirent. Il parlait comme un écolier qui se lève pour réciter un poème. – Je suis venu pour deux raisons, Céline. Premièrement, je t’ai apporté un cadeau d’anniversaire. Et puis, j’ai réfléchi et décidé…je ne peux pas dire devant quelqu’un que je suis le père de ton enfant. Je veux dire…je ne suis pas prêt maintenant à assumer la charge d’un enfant. La colère me cingla telle une vague de l’océan. Je lui lançai à la tête : – C’est magnifique ! Maintenant que tu m’as dit cela, tu peux rentrer chez toi pour jouir, mener ta vie sans responsabilité. Si tu n’as plus rien d’autre à dire, pourquoi ne pars-tu pas ? – En vérité, je ne souhaitais pas qu’il s’en aille, mais sa belle allure me fit immédiatement penser à mon propre physique laid. Le regard baissé, mes paupières clignaient sans cesse. Je voulais lutter contre mes larmes qui commençaient à venir. Gêné, il repartit. Puis, soudain, il s’arrêta et se retourna vers moi. Il tenait dans sa main tremblante un joli petit paquet. – J’ai failli oublier de te remettre ceci, déclara-t-il avec douceur. – Merci ! (Comme si cela compenserait ce qu’il m’avait fait, pensai-je avec amertume.) Puis …il partit. Tel que je le vis partir tête baissée, je sus que je n’allais plus jamais le revoir. Aussitôt, je voulus me retrouver seule dans ma chambre. Je marchai vers la maison aussi vite que je le pouvais. Je claquai ma porte, m’assis sur le bord du lit et laissais couler Toi, Suis-Moi N° 1. 2021 30 mes larmes sur le joli petit paquet. De belles petites fleurs rose-rouge décoraient le papier d’emballage. Je séchai mes larmes et dénouai lentement le ruban. Ouvrant le couvercle, j’enlevai soigneusement le papier afin de voir ce qui se trouvait à l’intérieur. Avec colère, je jetai la boite de chaussettes contre le mur. Pendant qu’elles retombaient par terre, je criai en pleurant de plus belle : – Ben, comment peux-tu m’abandonner ainsi ?

J’avais déjà pensé ne plus jamais accepter de cadeau de qui que ce soit ; j’appréciai pourtant les deux offerts par Ruth. Le premier et le meilleur, c’est une Bible. Le second est un carnet. Jusqu’à ce jour, je n’avais jamais lu la Bible ! Cette semaine, j’ai commencé à lire chaque matin. Ruth me suggéra de commencer par le livre de Jean. Quand je finis de lire quelques versets, je les commentai dans mon carnet. Ruth lisait les mêmes versets et, plus tard dans la journée, nous discutions de ce que nous avions appris. C’est captivant ! Je suis émerveillée de voir que la Bible est si intéressant ! Le livre de Jean parle beaucoup de Jésus. J’apprends un tas de choses sur la manière dont il veut que je vive. Désormais, lorsque je veux me fâcher contre Eunice, je me rappelle des paroles du Seigneur Jésus, par exemple : Aimez-vous les uns les autres ; comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres (Jean 13.34). En même temps, Eunice a commencé à devenir plus gentille avec moi. Elle n’essaie plus de me provoquer. Souvent, elle met sa main sur mon ventre, espérant que le bébé bougera. Elle aime ça. Aimer le bébé est sa façon de m’aimer. Même mon frère devient plus fraternel. Parfois, il dit sincèrement : « Bonjour » et même quelques rares fois : « Comment tu vas ? » Ça, c’est du progrès de sa part ! Ruth me dit : « Céline, c’est toi qui es en train de changer. Ceci aide ta famille à être plus gentille à ton égard. » Le plus grand changement concernait Papa. Hier, quand il est rentré du travail, il est venu tout droit vers moi. J’étais en train de coudre. Lorsqu’il s’assit auprès de moi, j’eus un peu peur et gardai les yeux fixés sur mon travail. – Sa voix était inhabituellement douce : – Céline, je sais combien tu es abattue. Je souffre aussi. Mais je veux que tu saches ceci : Je ne te méprise pas. Il posa la grosse main sur mon épaule, juste une seconde, puis se leva et sortit de la pièce. Je souris, c’était la façon affectueuse pour Papa de me dire qu’il m’avait pardonné. Cependant, il me restait encore deux sources de découragement. La première, c’est Sylvie. La semaine dernière, je lui ai raconté comment Ruth m’a aidée à devenir chrétienne. J’essayai de dire : – Jésus m’a pardonné et… avant que je n’aie terminé, Sylvie se mit à rire, puis elle ajouta : – Tu as vraiment changé, Céline. Toi, Suis-Moi N° 1. 2021 31 Tu es plus sympa qu’il y a un mois. On a l’impression que tu as retrouvé une raison de vivre – un espoir ou quelque chose d’autre. Puis elle dit tristement : – On dirait que tu as un secret que tu ne veux pas partager avec moi. – Ce n’est pas vrai, Sylvie. Ce n’est pas un secret. Tu peux toi aussi recevoir la vie éternelle si tu crois en… Sylvie m’interrompit en remuant sa tête. – Non, Céline, je n’ai pas besoin de la religion. Ma vie va à merveille. J’étais déçue du fait que Sylvie n’était pas prête à accepter Jésus, mais il me fallait être patient. Je dois prier beaucoup pour elle, comme Ruth l’a fait pour moi. Ma seconde source de découragement, c’est ma mère. Elle m’oblige à parler des choses auxquelles j’essaie de ne pas penser. Par exemple, ce matin, mon dos me faisait mal à force de rester assise devant la machine à coudre pour me confectionner une robe de grossesse. Soudain, maman entra et commença à parler : – Tu sais, il faut vraiment que nous parlions de ce nous ferons si les parents de Ben refusent de garder l’enfant. Impatiente, je laissai tomber les ciseaux sur la table. – Maman, s’il te plaît, pouvons-nous en parler une autre fois ? Je retirai d’autres épingles du tissu et m’apprêtai à continuer à coudre. Comme si elle ne m’avait pas entendue, elle s’assit sur une chaise à ma gauche et avec un sourire forcé poursuivit : – Quand ton père et moi avons appelé les parents de Ben, ils nous ont dit qu’ils ne peuvent pas croire que leur fils soit père d’un enfant. Nous allons encore leur parler, mais nous avons l’impression qu’ils ne veulent pas accepter l’enfant. Dans ce cas, j’espère que l’enfant restera chez nous plutôt que chez eux, car tout enfant a besoin d’être aimé. N’est-ce pas ? J’espérais qu’en me taisant, elle cesserait de parler. Mon mal de dos empirait. Ce n’était pas le moment de parler de tout cela. Cependant, elle continua, ressassant les mêmes choses qu’elle me racontait depuis des dizaines de fois. – Si l’enfant reste chez nous, je ne sais pas qui s’occupera de lui. Je ne peux pas quitter mon travail. Peutêtre pourrions-nous engager quelqu’un pour s’en occuper, mais cela coûte très cher de nos jours. Et, c’est la mère qui doit réellement s’occuper de son enfant. Mais, si toi tu restes à la maison pour t’occuper de ton enfant, comment pourras-tu terminer tes études ? Quant à l’université, on ne peut même plus y penser ! Oh Céline, tu sais combien ton père et moi espérions et souhaitions que tu finisses tes études, mais à présent… – S’il te plaît, Maman ! m’écriai-je en laissant tomber à nouveau les ciseaux, ne pouvons-nous pas en parler un autre jour ? J’ai mal au dos…

Suite dans le prochain journal Nous publions le livre « Embrasse-moi, chérie » de Bruce et Carol Britten comme histoire continue avec l’aimable permission de l’éditeur CPE (Centre des publications évangéliques Abidjan).